Milan Kundera en contrechamp

Les réactions à la mort de Milan Kundera en France et en République tchèque ne sont pas sans créer une forme de dissonance cognitive. D’ordinaire, les intellectuels français pontifient sur la littérature et la politique d’Europe centrale en comprenant bien peu à l’Europe centrale en général et à la République tchèque en particulier. Cette fois-ci, c’est presque le contraire : non seulement les Français ont leur propre compréhension et interprétation de la vie et de la mort de Kundera, mais celle-ci est pleinement légitime, aussi légitime que celle des Tchèques. Reste que les deux parties ignorent les problématiques sous-jacentes et … Lire plus

Voyage d’hiver

Silence, il fait silence soudain, silence, ça fait tellement de bien, tout le monde sans doute est parti, c’est extraordinaire, d’un seul coup je me sens légère, je n’ai plus froid, je ne sens plus mon corps, c’est comme si je glissais, je ne marche pas, je glisse, je dois rêver, je glisse sur un lit de glace, c’est l’hiver, les lacs sont gelés, je n’ai jamais appris à patiner, mais je glisse sans patins, je n’ai plus froid, je n’ai plus peur, il y a une fine couche de neige, trop fine pour laisser des traces, je glisse à … Lire plus

Où en sommes-nous avec le passé simple ? Réponses de traductrices

À lire les romans étrangers traduits en français, on s’aperçoit que la traduction littéraire maintient l’usage du passé simple, temps qui a souvent disparu de la langue parlée et qui se fait rare dans la fiction contemporaine, au moins depuis l’Etranger de Camus. Le passé composé le remplace parce qu’il aurait une vivacité, une immédiateté, une simplicité que n’aurait pas le passé simple. Il semble que les règles d’usage en vigueur jusqu’au XIXème siècle soient désormais oubliées, et un certain arbitraire paraît aujourd’hui régner dans le choix entre passé simple et passé composé. La traduction littéraire évoluerait-elle sur ce point ?  … Lire plus

Rendre les médias plus résilients ?

La grève de la rédaction au Journal du Dimanche rappelle que la condition des journalistes est marquée par deux contraintes contradictoires : comme salariés, ils sont de droit tenus par un lien de subordination et doivent exécuter les ordres et directives de leur employeur ; comme journalistes, ils ont un devoir moral à l’égard de leurs lecteurs, de leur profession et de leurs pairs. Cette condition s’est adoucie quand l’on a permis aux journalistes, depuis une loi de 1935, de quitter l’entreprise de presse à des conditions avantageuses s’ils cessent d’en partager les valeurs et en cas de changement de contrôle. Elle … Lire plus

Emeutes, JDD – Quand le piège se referme

C’est une coïncidence, mais elle donne la mesure de ce que risquent d’être les prochains mois de l’actualité politique. Dans les mêmes quinze jours, le très réactionnaire Bolloré prend le contrôle éditorial du Journal du Dimanche (JDD), imposant un rédacteur qui a dû quitter Valeurs Actuelles pour ses positions trop à droite, et un contrôle policier qui tourne au drame déclenche des émeutes dans les « quartiers populaires », euphémisme habituel pour désigner les lieux où vit, souvent dans le ressentiment, une jeunesse issue de l’immigration maghrébine et sub-saharienne. Un journal qui passe à l’extrême-droite, d’un côté, des violences urbaines de l’autre… … Lire plus

Éric Rohmer, le Brexit et l’Angleterre

Éric Rohmer, ce n’était pas son vrai nom. Il nait Maurice Schérer, nom que sa mère lui maintint toute sa vie. Pour elle, Maurice était professeur dans un lycée à Paris, et elle n’a jamais su qu’il existait un Éric Rohmer, ni que son fils était un cinéaste de renommée internationale et un ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma. Son cinéma, lui aussi, s’est fait dans l’effacement de soi. Rohmer idolâtrait André Bazin, l’influent théoricien du cinéma qui affirmait que le cinéma était « l’aboutissement dans le temps de l’objectivité photographique », que le film devait renoncer à l’artifice de … Lire plus

Météorite

Il est probable que ceux qui, voyant la bande annonce d’Asteroid City, se seraient attendus à ce que Wes Anderson, après avoir réalisé le très curieux French Dispatch, fasse un mélodrame romantique à la manière d’A l’est d’Eden, un drame à la manière des Misfits ou de Paris Texas, un western spaghetti dans le style Pour une poignée de dollars, une parodie de film pulp de science-fiction dans le genre de Mars Attacks, une comédie du désert comme Bagdad café , voire un dessin animé de Bip Bip dans le style de ses films d’animation comme Fantastic Mr Fox, seront … Lire plus

La voix d’un fils

C’était un jeudi de novembre. La direction de la radio avait envoyé deux journalistes, blêmes, lui annoncer que son fils était mort. Après l’émission du matin, il avait quitté le studio pour son bureau de rédacteur-en-chef, au 6ème étage, et il n’en était pas redescendu. On l’avait trouvé sur le sol, inconscient. Massage cardiaque, réanimation, les pompiers, l’hôpital…et le médecin qui constate le décès. Il avait 47 ans. Le mercredi suivant, il était enterré auprès de son père, dans la tombe qui aurait dû être la sienne, à elle. Tout l’hiver, elle avait revécu l’enterrement dans son ordre inéluctable : l’arrivée … Lire plus

Le vieux procureur

C’est l’heure où le vieux procureur est nu sur un tabouret en plastique, au milieu du bassin de douche. L’aide-soignante lui nettoie les bras et le dos. Les dimanches matins à la Fondation Pereire, on lave attentivement les résidents et on les habille avec soin. Les hommes sont rasés de près. Aux dames, on demande si elles veulent du maquillage, un peu de parfum. Les familles viennent l’après-midi, il faut les rassurer. Le pommeau de douche à la main, Malika élimine les traces de savon qui demeurent sur le torse décharné. Le temps de la répugnance était vite passé, plus … Lire plus

Kafka le « malaisant » ?

Que Franz Kafka puisse être traité de « malaisant » et ses œuvres « déboulonnées », en particulier La Métamorphose, en dit long sur notre époque et sa conception de la littérature ou de la désuétude de la poésie. « La littérature s’efforce de placer les choses dans une lumière agréable ; le poète est contraint de les élever dans le royaume de la vérité, de la pureté et de la durée », se plaisait à enseigner Kafka à son jeune ami Gustav Janouch. « Un livre doit être la hache qui fend la mer gelée en nous », écrivait-il encore le 27 janvier 1904 dans une lettre à Oskar Pollak. Sans aucun doute, Kafka voulait être « malaisant », c’était pour lui non seulement une vertu, mais la mission même de l’écrivain. Si ses amis Lire plus