De Paris à Prague, la fabrique de la mémoire anticommuniste

Mai 1968 à Paris fut certainement grisant. « Sous les pavés, la plage », clamait le slogan. Les adeptes du marxisme, léninisme, maoïsme, trotskisme et de peu ou prou toutes les autres idéologies de gauche unirent leurs forces contre le régime archaïque et autoritaire du Général de Gaulle. Des jeunes survoltés occupèrent les universités, dressèrent des barricades et affrontèrent la police dans des batailles épiques qui firent sept morts, tandis que le pays entamait une grève générale qui dura des semaines. Bien que ce niveau de violence ne fût pas louable en soi et que la naïveté de ces idéaux politiques parût quelque peu navrante vu de Prague où la population était déjà autrement plus sensibilisée au potentiel destructeur de ces idéologies, les intentions n’en étaient pas moins relativement nobles. Le mouvement a profondément transformé la société française, passée d’une mentalité conservatrice à une attitude plus ouverte, tolérante et Lire plus

Milan Kundera en contrechamp

Les réactions à la mort de Milan Kundera en France et en République tchèque ne sont pas sans créer une forme de dissonance cognitive. D’ordinaire, les intellectuels français pontifient sur la littérature et la politique d’Europe centrale en comprenant bien peu à l’Europe centrale en général et à la République tchèque en particulier. Cette fois-ci, c’est presque le contraire : non seulement les Français ont leur propre compréhension et interprétation de la vie et de la mort de Kundera, mais celle-ci est pleinement légitime, aussi légitime que celle des Tchèques. Reste que les deux parties ignorent les problématiques sous-jacentes et … Lire plus

Le calvaire des Ouïghours

Mon intérêt pour le Xinjiang remonte en effet à l’adolescence. Enivrée par les romans et les récits de voyage en Asie centrale, je rêve de me rendre dans cette immense région semi-désertique aux paysages grandioses, à l’histoire flamboyante et aux peuples fiers, rebelles et généreux, qui s’étend sur un sixième du territoire chinois. Dans Oasis interdites, l’écrivaine et aventurière suisse Ella Maillart raconte sa traversée épique à dos d’âne dans le Xinjiang troublé des années 1930, en compagnie du journaliste et espion britannique Peter Fleming, qui servira de modèle à son frère Ian pour créer le personnage de James Bond. Aussi, lorsqu’à 22 ans, je pars avec une amie en stop depuis Paris pour faire le tour du monde, notre première étape en Asie est Urumchi, la capitale régionale, ville du globe la plus éloignée de la mer. En 1991, les touristes y sont encore très rares.

Pendant un mois, sur des vélos déglingués ou à bord de bus brinquebalants, nous parcourons les immensités du Xinjiang, visitons des merveilles architecturales Lire plus

Néo-communisme et social-écologie

Dans son célèbre ouvrage de 1928 sur le socialisme, le sociologue Durkheim l’opposait au communisme de façon radicale. Le communisme, dit-il, consiste dans une excommunication des fonctions économiques, et c’est par cette tendance qu’il se définit, alors que le socialisme au contraire tend à les intégrer plus ou moins étroitement dans la communauté humaine. Le communisme tient tout entier dans un sursaut de la conscience morale abstraite, note-t-il, qui n’est d’aucun temps, ni d’aucun pays, et qui conteste les conséquences morales de la propriété privée en général. Il ne s’occupe qu’accessoirement des arrangements économiques proprement dits et ne les modifie … Lire plus

Traduire La fin de l’homme rouge

C’est très peu de dire que La fin de l’homme rouge, l’ouvrage de Svetlana Alexievitch sur la fin de l’Union Soviétique (prix Médicis de l’essai 2013), est un livre impressionnant et troublant, et qu’il ne se lit pas sans qu’on pense parfois à Dostoïevski et parfois au Shoah de Lanzmann, deux références qui ont compté pour Svetlana Alexievitch, nous dit-on. Il est difficile de mesurer la somme de douleurs que cette partie du monde a pu subir, et tout aussi difficile de comprendre pourquoi la Russie actuelle est parfois nostalgique de la séquence historique qui se clot avec la perestroïka1Il serait … Lire plus

Staline et Stalingrad, un mythe revisité

En Russie,  il n’est pas besoin d’attendre cinquante ans pour fêter un jubilé. Tous les anniversaires marquants, ce que les Russes appellent des dates « rondes », de décennie en décennie, sont qualifiés de jubilés et donnent lieu à des commémorations de grande ampleur. Le 2 février 2013 était ainsi célébré le 70ème anniversaire de la fin de la bataille de Stalingrad, qui fut décisive pour la défaite des armées allemandes et, partant, scella la victoire héroïque de l’armée rouge, que l’on fête solennellement le 9 mai. Cette année d’ailleurs, pour le 68ème anniversaire de la Victoire, le défilé sur la place … Lire plus