Justice et cinéma, ce vieux couple

Gaby Morlay dans "Accusée, Levez-vous", de Maurice Tourneur (1930)

Notre entretien avec l’auteur de “La Justice au Cinéma”, paru en octobre dernier, l’excellente analyse d’un couple presque aussi vieux que le cinéma. – Thibault de Ravel d’Esclapon, vous montrez de façon très convaincante que le cinéma et la justice entretiennent des relations qui vont bien au-delà des prétoires et des films qui sont directement consacrés aux procès. Quelle distinction faites-vous entre le film de prétoire et ce que vous appelez le film de justice ? Lire plus

Droit dans ses bottes et bien à droite

Si le nouveau Premier ministre peut sembler sympathique, parce qu’il est jeune, souriant et homosexuel, ce qui témoigne d’une évolution heureuse de la société française, deux des mesures qu’il a annoncées lors de son discours à l’Assemblée nationale sont de sa part étonnantes, et même choquantes1Déclaration de politique générale du 30 janvier 2024.. Lutter contre le chômage de longue durée et celui des seniors en particulier mérite les applaudissements. Mais le faire en les privant d’une allocation de solidarité spécifique, de l’ordre de 600€ par mois, pour les transférer vers le régime du RSA, c’est pauvre du point de vue … Lire plus

De Paris à Prague, la fabrique de la mémoire anticommuniste

Mai 1968 à Paris fut certainement grisant. « Sous les pavés, la plage », clamait le slogan. Les adeptes du marxisme, léninisme, maoïsme, trotskisme et de peu ou prou toutes les autres idéologies de gauche unirent leurs forces contre le régime archaïque et autoritaire du Général de Gaulle. Des jeunes survoltés occupèrent les universités, dressèrent des barricades et affrontèrent la police dans des batailles épiques qui firent sept morts, tandis que le pays entamait une grève générale qui dura des semaines. Bien que ce niveau de violence ne fût pas louable en soi et que la naïveté de ces idéaux politiques parût quelque peu navrante vu de Prague où la population était déjà autrement plus sensibilisée au potentiel destructeur de ces idéologies, les intentions n’en étaient pas moins relativement nobles. Le mouvement a profondément transformé la société française, passée d’une mentalité conservatrice à une attitude plus ouverte, tolérante et Lire plus

Une tribune passéiste et biaisée

La tribune publiée par un certain nombre de diplomates et anciens diplomates français, dans le Monde du 25 novembre 2023 au sujet de l’épouvantable guerre au Proche-Orient à tout pour intriguer. Les thèses qui y sont défendues ne sont pas nouvelles, et elles peuvent s’autoriser de faits, de réalités reconnus et qu’il est bien normal de déplorer comme le font ces diplomates, qui s’inscrivent dans une tradition française que vient d’illustrer Dominique de Villepin. Qui pourrait contester que le règlement du conflit « passe par une solution politique de la question palestinienne sur la base du droit international » ? Elles sont cependant énoncées sur un ton et avec des arguments qui appellent débat. Lire plus

L’égoïsme vertueux de Montaigne, ou la fabrique de l’esprit libéral

Voir en Montaigne un précurseur du mouvement que nous qualifions aujourd’hui de « libéral », c’est sans doute assumer à la fois un anachronisme et une ambivalence. Au 16e siècle, le terme de « libéral » renvoie non à une doctrine, mais à une qualité éthique que l’on nommerait aujourd’hui la générosité. Le terme de « libéral » ne désigne une position politique que depuis la fin du 18e siècle, avec Benjamin Constant et Germaine de Staël. Actuellement même, on ne s’entend pas vraiment sur le sens du terme, qui renvoie en France à un mouvement de pensée opposé aux formes jugées excessives de collectivisme, alors qu’au … Lire plus

Etre ou ne pas être ? Telle est la question Entre russité et russophobie

Dans un clin d’œil à Cioran, Diana Filippova signe un livre qui est une réaction aux événements majeurs de ces dernières années. Un cri du cœur, une réaction épidermique, dont la force est à la mesure du choc subi le 24 février 2022 à l’annonce de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. La sidération éprouvée à ce moment-là par tous ceux qui s’intéressent peu ou prou à ce pays gigantesque fut énorme. Pour l’auteur, ce fut un coup de tonnerre, dans la mesure où, arrivée en France à l’âge de sept ans, fin 1993, soit près de 30 ans plus tôt, elle n’avait eu de cesse de s’intégrer, de s’assimiler, d’oublier ses origines, voulant à tout prix devenir écrivain de langue française. La prétendue « opération militaire spéciale » déclenchée par Vladimir Poutine l’oblige à se rappeler, malgré elle, ses origines, et, partant, à réfléchir à ce qui définit son identité russe. Lire plus

Jean Widmer, le design discret et incisif

Rina Sherman, parlons d’abord de vous! Vous êtes connue comme l’auteur d’une thèse d’anthropologie, de travaux de recherche sur l’Afrique et la Namibie par exemple, et comme cinéaste, auteur de documentaires // Rina Sherman – Au conservatoire de musique de l’Université de Johannesburg, nous devions suivre deux années en arts et en sciences humaines ; j’avais choisi l’histoire de l’art et l’anthropologie. Notre professeur, David Hammond-Tooke, nous enseignait le système de pensée et l’organisation sociale des communautés bantoues d’Afrique Australe, et son jeune assistant, Johnny Clegg, nous initiait au rôle clef de la main d’œuvre noire dans l’économie minière internationale dans laquelle s’inscrivait l’Afrique du Sud. Lire plus

Le Frankenstein de l’atome : Oppenheimer et l’angoisse de la destruction créatrice

Sur le plan historique et dramatique, l’Oppenheimer de Christopher Nolan est un film riche, moralement complexe, psychologiquement sophistiqué, épiquement grandiose ; il est visuellement époustouflant, bien rythmé par une bande-son à couper le souffle, et il est extraordinairement bien interprété – un merveilleux mélange de science, de politique, de psychologie et d’art. Il pourrait remporter presque autant d’Oscars qu’il y eut de lauréats du prix Nobel parmi la myriade de scientifiques travaillant sous la direction de J. Robert Oppenheimer au projet Manhattan, dans la course à la bombe atomique entre le printemps 1942 et l’été 1945 – été 1945 au cours … Lire plus

Milan Kundera en contrechamp

Les réactions à la mort de Milan Kundera en France et en République tchèque ne sont pas sans créer une forme de dissonance cognitive. D’ordinaire, les intellectuels français pontifient sur la littérature et la politique d’Europe centrale en comprenant bien peu à l’Europe centrale en général et à la République tchèque en particulier. Cette fois-ci, c’est presque le contraire : non seulement les Français ont leur propre compréhension et interprétation de la vie et de la mort de Kundera, mais celle-ci est pleinement légitime, aussi légitime que celle des Tchèques. Reste que les deux parties ignorent les problématiques sous-jacentes et … Lire plus

Où en sommes-nous avec le passé simple ? Réponses de traductrices

À lire les romans étrangers traduits en français, on s’aperçoit que la traduction littéraire maintient l’usage du passé simple, temps qui a souvent disparu de la langue parlée et qui se fait rare dans la fiction contemporaine, au moins depuis l’Etranger de Camus. Le passé composé le remplace parce qu’il aurait une vivacité, une immédiateté, une simplicité que n’aurait pas le passé simple. Il semble que les règles d’usage en vigueur jusqu’au XIXème siècle soient désormais oubliées, et un certain arbitraire paraît aujourd’hui régner dans le choix entre passé simple et passé composé. La traduction littéraire évoluerait-elle sur ce point ?  … Lire plus