Jean Widmer, le design discret et incisif

Rina Sherman, parlons d’abord de vous! Vous êtes connue comme l’auteur d’une thèse d’anthropologie, de travaux de recherche sur l’Afrique et la Namibie par exemple, et comme cinéaste, auteur de documentaires // Rina Sherman – Au conservatoire de musique de l’Université de Johannesburg, nous devions suivre deux années en arts et en sciences humaines ; j’avais choisi l’histoire de l’art et l’anthropologie. Notre professeur, David Hammond-Tooke, nous enseignait le système de pensée et l’organisation sociale des communautés bantoues d’Afrique Australe, et son jeune assistant, Johnny Clegg, nous initiait au rôle clef de la main d’œuvre noire dans l’économie minière internationale dans laquelle s’inscrivait l’Afrique du Sud. Lire plus

Le Frankenstein de l’atome : Oppenheimer et l’angoisse de la destruction créatrice

Sur le plan historique et dramatique, l’Oppenheimer de Christopher Nolan est un film riche, moralement complexe, psychologiquement sophistiqué, épiquement grandiose ; il est visuellement époustouflant, bien rythmé par une bande-son à couper le souffle, et il est extraordinairement bien interprété – un merveilleux mélange de science, de politique, de psychologie et d’art. Il pourrait remporter presque autant d’Oscars qu’il y eut de lauréats du prix Nobel parmi la myriade de scientifiques travaillant sous la direction de J. Robert Oppenheimer au projet Manhattan, dans la course à la bombe atomique entre le printemps 1942 et l’été 1945 – été 1945 au cours … Lire plus

Milan Kundera en contrechamp

Les réactions à la mort de Milan Kundera en France et en République tchèque ne sont pas sans créer une forme de dissonance cognitive. D’ordinaire, les intellectuels français pontifient sur la littérature et la politique d’Europe centrale en comprenant bien peu à l’Europe centrale en général et à la République tchèque en particulier. Cette fois-ci, c’est presque le contraire : non seulement les Français ont leur propre compréhension et interprétation de la vie et de la mort de Kundera, mais celle-ci est pleinement légitime, aussi légitime que celle des Tchèques. Reste que les deux parties ignorent les problématiques sous-jacentes et … Lire plus

Où en sommes-nous avec le passé simple ? Réponses de traductrices

À lire les romans étrangers traduits en français, on s’aperçoit que la traduction littéraire maintient l’usage du passé simple, temps qui a souvent disparu de la langue parlée et qui se fait rare dans la fiction contemporaine, au moins depuis l’Etranger de Camus. Le passé composé le remplace parce qu’il aurait une vivacité, une immédiateté, une simplicité que n’aurait pas le passé simple. Il semble que les règles d’usage en vigueur jusqu’au XIXème siècle soient désormais oubliées, et un certain arbitraire paraît aujourd’hui régner dans le choix entre passé simple et passé composé. La traduction littéraire évoluerait-elle sur ce point ?  … Lire plus

Le vieux procureur

Le vieux procureur était assis sur une chaise en plastique, nu au milieu du bassin de douche. L’aide-soignante lui nettoyait les bras et le dos, une éponge à la main. Les dimanches matins à la Fondation Pereire, on lave attentivement les résidents, on les habille avec soin. Les hommes sont rasés de près. Aux dames, on demande si elles veulent du maquillage. Les familles viennent l’après-midi, il faut les rassurer. Le pommeau de douche à la main, Malika éliminait les traces de savon qui demeuraient sur le torse décharné. Le temps de la répugnance était vite passé, plus vite qu’elle … Lire plus

Kafka le « malaisant » ?

Que Franz Kafka puisse être traité de « malaisant » et ses œuvres « déboulonnées », en particulier La Métamorphose, en dit long sur notre époque et sa conception de la littérature ou de la désuétude de la poésie. « La littérature s’efforce de placer les choses dans une lumière agréable ; le poète est contraint de les élever dans le royaume de la vérité, de la pureté et de la durée », se plaisait à enseigner Kafka à son jeune ami Gustav Janouch. « Un livre doit être la hache qui fend la mer gelée en nous », écrivait-il encore le 27 janvier 1904 dans une lettre à Oskar Pollak. Sans aucun doute, Kafka voulait être « malaisant », c’était pour lui non seulement une vertu, mais la mission même de l’écrivain. Si ses amis Lire plus

Le calvaire des Ouïghours

Mon intérêt pour le Xinjiang remonte en effet à l’adolescence. Enivrée par les romans et les récits de voyage en Asie centrale, je rêve de me rendre dans cette immense région semi-désertique aux paysages grandioses, à l’histoire flamboyante et aux peuples fiers, rebelles et généreux, qui s’étend sur un sixième du territoire chinois. Dans Oasis interdites, l’écrivaine et aventurière suisse Ella Maillart raconte sa traversée épique à dos d’âne dans le Xinjiang troublé des années 1930, en compagnie du journaliste et espion britannique Peter Fleming, qui servira de modèle à son frère Ian pour créer le personnage de James Bond. Aussi, lorsqu’à 22 ans, je pars avec une amie en stop depuis Paris pour faire le tour du monde, notre première étape en Asie est Urumchi, la capitale régionale, ville du globe la plus éloignée de la mer. En 1991, les touristes y sont encore très rares.

Pendant un mois, sur des vélos déglingués ou à bord de bus brinquebalants, nous parcourons les immensités du Xinjiang, visitons des merveilles architecturales Lire plus

1917 : l’année ou Barrès cessa d’être antisémite

Quelle étrange destinée, en effet, que celle de Barrès ! Voici un de nos plus grands écrivains aujourd’hui presque totalement oublié, à peine édité, l’écrivain maudit par excellence. Admiré par Blum et Aragon, estimé par Jaurès, il s’est métamorphosé en maître à penser de cette fameuse idéologie française théorisée par Bernard-Henri Lévy et contextualisée par Zeev Sternhell. Le jeune député boulangiste qui se proclamait volontiers socialiste-nationaliste, n’est-il pas, dès lors, l’inventeur du fascisme ? Alors que d’autres écrivains moins talentueux et plus marqués politiquement ont intégré la prestigieuse collection La Pléiade (On pense ici évidemment à Drieu la Rochelle), Barrès en est toujours exclu, ce qui ne manque pas d’interroger. Pauvre Barrès ! Et de surcroît, il a choisi le mauvais camp : celui de l’antidreyfusisme, théorisant par là même un nationalisme fortement teinté d’antisémitisme. La cause est entendue, n’en jetez plus Lire plus

Titina ou l’Arctique au temps des Soviets

En février 2023, lors des vacances scolaires d’hiver, parents et grands-parents auront remarqué la sortie sur les écrans français du film d’animation « Titina » de la réalisatrice norvégienne Kajsa NÆSS. Contrairement à ce que pourrait laisser supposer ce nom enfantin qui est celui d’un petit chien, ce film relate une « extraordinaire aventure polaire » qui a vraiment eu lieu. Il s’agit de l’épopée du Norvégien Amundsen, considéré comme le plus grand explorateur polaire du monde et de l’Italien Umberto Nobile, ingénieur aéronautique et  grand voyageur lui aussi. Leur voyage en mai 1926 à bord du dirigeable Norge, conçu par Nobile, avec également à bord Titina, son fox-terrier blanc, constitue une date mémorable de la conquête du pôle Nord.

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La Femme de Tchaïkovski, film misogyne

Dans la situation où se retrouve aujourd’hui la culture russe, ravagée par les oppositions politiques, éclatée par les exils et les existences semi-clandestines de ses meilleurs représentants, il  est difficile de porter un jugement sur un confrère de malheur. Mille données parasites viennent troubler la vision. Il est donc très difficile de parler de Kirill Serenbrennikov, un metteur en scène qui a dû passer par un procès en Russie, être assigné à résidence, privé de sa compagnie théâtrale, voué à l’exil, et qui doit composer maintenant avec un autre public et probablement puiser dans d’autres sujets. Pourtant la condition de Kirill Serebrennikov ne peut être comparée à celle des autres artistes russes non-officiels, tolérés à contre-cœur par le régime de Poutine (comme Alexandre Sokourov), mais également ignorés maintenant de grandes manifestations internationales. Lire plus