Le retour au travail des mutilés de la Grande Guerre

Le 14 juillet 1919, la longue procession que constitue le « défilé de la Victoire » est ouverte par un contingent d’un millier de mutilés de guerre. Ces « gueules cassées », amputés, aveugles et estropiés, immortalisés par Jean Galtier-Boissière, ne représentent qu’un mince échantillon des soldats que le premier conflit mondial rend à la société française en état d’invalidité, à des degrés inégaux, tant les atteintes corporelles subies dans les tranchées sont diverses. Les mauvaises conditions d’hygiène favorisent la diffusion de la tuberculose quand l’exposition aux gaz offensifs entraîne des bronchites chroniques. La reconnaissance de ces maladies est plus tardive que celle des … Lire plus

1914, suite et fin : Albert Camus, « Le premier homme »

Le voyageur demanda le carré des morts de la guerre de 1914. « Oui, dit l’autre. Ca s’appelle le carré du Souvenir français. Quel nom cherchez-vous ? – Henri Cormery », répondit le voyageur. (…) Le gardien ouvrit un grand livre couvert de papier d’emballage et suivit de son doigt terreux une liste de noms. Son doigt s’arrêta « Cormery Henri, dit-il, blessé mortellement à la bataille de la Marne, mort à Saint Brieuc le 11 octobre 1914. – C’est ça », dit le voyageur. Le gardien referma le livre. « Venez », dit-il. Et il le précéda vers les premières rangées de tombes, les unes modestes, … Lire plus

Marc Bloch, l’été 14, «Souvenirs de guerre»

1914-1915 Août 1914 ! Je me vois encore, debout dans le couloir du wagon qui nous ramenait, mon frère et moi, de Vevey où nous avions appris dans la journée du 31 juillet la déclaration par l’Allemagne de l’état de guerre. Je regardais le soleil se lever, dans un beau ciel nuageux, et je me répétais à mi-voix ces mots, en eux-mêmes parfaitement insignifiants et qui me paraissaient pourtant lourds d’un sens redoutable et caché : « Voici l’aube du mois d’août 1914. » En arrivant à Paris, à la gare de Lyon, nous connûmes par les journaux l’assassinat de Jaurès. A notre deuil, une poignante inquiétude … Lire plus

Irène Némirovsky, l’été 14, « Les feux de l’automne »

Un enfant de dix-sept ans – Bernard Jacquelain – vêtu d’habits courts et étriqués, car il avait grandi trop vite, sans chapeau, les cheveux rejetés en arrière, serrant les dents, serrant les poings pour retenir les sanglots qui montaient à sa gorge, suivait dans la rue un régiment en marche. C’était le 31 juillet 1914, à Paris. Par moments, Bernard jetait autour de lui des regards curieux, avides et effrayés, comme un petit garçon que l’on conduit pour la première fois au théâtre. Quel spectacle, cette veille de guerre, car il n’y avait que des ramollis, des ganaches comme Adolphe … Lire plus

Sebastian Haffner, l’été 14, «Histoire d’un Allemand, Souvenirs (1914-1933)»

Jamais je n’oublierai ce 1er août 1914, et le souvenir de cette journée s’accompagne toujours d’un profond sentiment d’apaisement, de détente, de « tout va bien maintenant ». Voilà de quelle façon étrange on peut « vivre l’histoire en direct ».(…)Les jours suivants, j’appris un nombre incroyable de choses en un temps incroyablement bref. Moi, un garçon de sept ans, qui naguère savait à peine ce qu’est une guerre, sans même parler d’un « ultimatum », d’une « mobilisation », d’une « réserve de cavalerie », voilà que je savais, comme si je l’avais toujours su, absolument tout sur la guerre : non seulement quoi, comment et où, mais même pourquoi. … Lire plus

Roger Martin du Gard, l’été 14, « Les Thibault, III »

Enfin, les deux jeunes gens purent approcher à leur tour. Sur la petite feuille rectangulaire, fixée au carreau par quatre pains à cacheter rosâtres, une écriture impersonnelle, appliquée, une écriture de femme, avait tracé ces trois lignes, sagement soulignées à la règle : mobilisation générale le premier jour de la mobilisation est le dimanche 2 aout Jenny serrait contre son buste la main que Jacques avait glissée sous son bras. Lui, il restait immobile. Comme les autres, il pensait : « Ca y est. » Dans son cerveau, les pensées se succédaient, très vite.  (…) Ainsi, pendant des semaines, il avait vécu, sans douter … Lire plus

Jean Paulhan, l’été 14, « Le Guerrier appliqué »

Je parais plus grand que mon âge — je m’appelle Jacques Maast, et j’ai dix-huit ans. Quand c’a été la troisième semaine de guerre, tout le monde et les filles du village où je passe mes vacances d’étudiant, me demandent : « Tu ne t’en vas pas ? ». Ces paysans me connaissaient depuis mes grands-parents : ils avaient de moi une opinion ancienne, et que je respectais. Ensuite je les sentais supérieurs à moi par leurs habitudes et jusqu’à l’ordre de leurs plaisanteries. La conviction que j’étais bien plus instruit restait ici pure et faible : elle ne me … Lire plus

Colette, l’été 14, « Les heures longues »

La nouvelle Saint-Malo, août 1914. La guerre ?… Jusqu’à la fin du mois dernier, ce n’était qu’un mot, énorme, barrant les journaux assoupis de l’été. La guerre ? Peut-être, oui, très loin, de l’autre côté de la terre, mais pas ici…. Comment imaginer que l’écho même d’une guerre pût franchir ces rochers, farouches uniquement pour que semblent plus doux, à leurs pieds, la vague, le gazon marin clairsemé, le chèvrefeuille, le sable gaufré par la petite serre des oiseaux…. Ce paradis n’était point fait pour la guerre, mais pour nos brèves vacances, pour notre solitude. Les récifs cachés sous la … Lire plus

Gabriel Chevallier, l’été 14, « La Peur »

« Le danger de ces communautés (les peuples), fondées sur des individus caractéristiques d’une même sorte, est l’abêtissement peu à peu accru par hérédité, lequel suit d’ailleurs toujours la stabilité ainsi que son ombre. » Nietzsche « Le feu couvait déjà dans les bas-fonds de l’Europe, et la France insouciante, en toilettes claires, en chapeaux de paille et pantalons de flanelle, bouclait ses bagages pour partir en vacances. Le ciel était d’un bleu sans nuages, d’un bleu optimiste, terriblement chaud : on ne pouvait redouter qu’une sècheresse. Il ferait bon à la campagne ou à la mer. Les terrasses de café sentaient l’absinthe … Lire plus

Stefan Zweig, l’été 14, « Le Monde d’hier, Souvenirs d’un européen »

« Le lendemain matin en Autriche ! Dans chaque station étaient collées les affiches qui avaient annoncé la mobilisation générale. Les trains se remplissaient de recrues qui allaient prendre leur service, des drapeaux flottaient. A Vienne, la musique résonnait et je trouvai toute la ville en délire. La première crainte qu’inspirait la guerre que personne n’avait voulue, ni les peuples, ni le gouvernement, cette guerre qui avait glissé contre leur propre intention des mains maladroites des diplomates qui en jouaient et bluffaient, s’était retournée en un subit enthousiasme. Des cortèges se formaient dans les rues, partout s’élevaient soudain des drapeaux, s’agitaient … Lire plus