Les grimaces du populisme, la voix de l’extrême-droite

L’essai vif et percutant que livre Claire Sécail, historienne des médias, au sujet de Cyril Hanouna et de sa contribution au projet politique du groupe Bolloré est bienvenu, même s’il sera probablement insuffisant à arrêter la vague de fond qui s’annonce. L’émission Touche Pas à Mon Poste avait défrayé la chronique dès les années 2010 par la vulgarité ostentatoire de ses animateurs, et de Cyril Hanouna en particulier dont la grossièreté et l’impudence sont sans précédent à la télévision française. On se souvient des nouilles versées dans le caleçon de son  acolyte Lire plus

Le souffleur

A cette époque, il y avait du prestige à être souffleur ; la compétition était rude. J’ai remporté le concours devant quarante-deux concurrents, tous lettrés. Je l’ai emporté parce que le président du jury m’a enlevé des mains les Fausses confidences, et au lieu de m’interrompre, je me suis mis à improviser un dialogue que les deux comédiens ont pu reprendre, avec une petite touche XVIIIème. Le public n’y aurait vu que du feu. « L’esprit d’à-propos, c’est utile chez un souffleur », m’a dit le président. Il m’a remis une médaille à l’effigie de Molière, le premier prix, et le soir-même, … Lire plus

L’enlèvement, de Marco Bellochio

Après Marx peut attendre (2021), documentaire sur et avec la famille Bellocchio qui éclaire, en les citant directement à l’écran, les films de sa trilogie biographique (Les Poings dans les poches, 1965, Les Yeux, la bouche, 1982, Le Sourire de ma mère, 2002) et met en évidence, plus généralement, l’impact de cette histoire familiale dramatique sur la quasi-totalité de son œuvre, Marco Bellocchio réalise avec L’enlèvement un film qui imbrique magistralement la grande Histoire et l’histoire particulière d’une famille déchirée, le passé et l’actualité. L’enlèvement est en effet une condamnation sans appel de tout intégrisme religieux, et de l’intégrisme catholique … Lire plus

La marche et au-delà

Quand il marchait, son corps était pris d’un léger balancement, étranger au mouvement naturel de la marche. C’était une oscillation régulière, presque imperceptible. Il tanguait. L’impression de se balancer était plus forte en fin de journée que le matin quand il partait au bureau – la fatigue, le relâchement sans doute ; le corps est moins discipliné vers 5 ou 6 heures du soir. Malheureusement, la fin de journée, c’est le moment où toute la ville sort en promenade, le moment où il redoutait le plus qu’on remarque sa drôle de démarche. Pour éviter le ridicule, il avait essayé de … Lire plus

Jean Widmer, le design discret et incisif

Rina Sherman, parlons d’abord de vous! Vous êtes connue comme l’auteur d’une thèse d’anthropologie, de travaux de recherche sur l’Afrique et la Namibie par exemple, et comme cinéaste, auteur de documentaires // Rina Sherman – Au conservatoire de musique de l’Université de Johannesburg, nous devions suivre deux années en arts et en sciences humaines ; j’avais choisi l’histoire de l’art et l’anthropologie. Notre professeur, David Hammond-Tooke, nous enseignait le système de pensée et l’organisation sociale des communautés bantoues d’Afrique Australe, et son jeune assistant, Johnny Clegg, nous initiait au rôle clef de la main d’œuvre noire dans l’économie minière internationale dans laquelle s’inscrivait l’Afrique du Sud. Lire plus

Le Frankenstein de l’atome : Oppenheimer et l’angoisse de la destruction créatrice

Sur le plan historique et dramatique, l’Oppenheimer de Christopher Nolan est un film riche, moralement complexe, psychologiquement sophistiqué, épiquement grandiose ; il est visuellement époustouflant, bien rythmé par une bande-son à couper le souffle, et il est extraordinairement bien interprété – un merveilleux mélange de science, de politique, de psychologie et d’art. Il pourrait remporter presque autant d’Oscars qu’il y eut de lauréats du prix Nobel parmi la myriade de scientifiques travaillant sous la direction de J. Robert Oppenheimer au projet Manhattan, dans la course à la bombe atomique entre le printemps 1942 et l’été 1945 – été 1945 au cours … Lire plus

Où en sommes-nous avec le passé simple (suite) ? Le cas italien

À lire les romans étrangers traduits en français, on s’aperçoit que la traduction littéraire maintient l’usage du passé simple, temps qui a souvent disparu de la langue parlée et qui se fait rare dans la fiction contemporaine, au moins depuis l’Etranger de Camus. Le passé composé le remplace parce qu’il aurait une vivacité, une immédiateté, une simplicité que n’aurait pas le passé simple. Il semble que les règles d’usage en vigueur jusqu’au XIXème siècle soient désormais oubliées, et un certain arbitraire paraît aujourd’hui régner dans le choix entre passé simple et passé composé. La traduction littéraire évoluerait-elle sur ce point ?  Nous … Lire plus

Milan Kundera en contrechamp

Les réactions à la mort de Milan Kundera en France et en République tchèque ne sont pas sans créer une forme de dissonance cognitive. D’ordinaire, les intellectuels français pontifient sur la littérature et la politique d’Europe centrale en comprenant bien peu à l’Europe centrale en général et à la République tchèque en particulier. Cette fois-ci, c’est presque le contraire : non seulement les Français ont leur propre compréhension et interprétation de la vie et de la mort de Kundera, mais celle-ci est pleinement légitime, aussi légitime que celle des Tchèques. Reste que les deux parties ignorent les problématiques sous-jacentes et … Lire plus

Voyage d’hiver

Silence, il fait silence soudain, silence, ça fait tellement de bien, tout le monde sans doute est parti, c’est extraordinaire, d’un seul coup je me sens légère, je n’ai plus froid, je ne sens plus mon corps, c’est comme si je glissais, je ne marche pas, je glisse, je dois rêver, je glisse sur un lit de glace, c’est l’hiver, les lacs sont gelés, je n’ai jamais appris à patiner, mais je glisse sans patins, je n’ai plus froid, je n’ai plus peur, il y a une fine couche de neige, trop fine pour laisser des traces, je glisse à … Lire plus

La voix d’un fils

C’était un jeudi de novembre. La direction de la radio avait envoyé deux journalistes, blêmes, lui annoncer que son fils était mort. Après l’émission du matin, il avait quitté le studio pour son bureau de rédacteur-en-chef, au 6ème étage, et il n’en était pas redescendu. On l’avait trouvé sur le sol, inconscient. Massage cardiaque, réanimation, les pompiers, l’hôpital…et le médecin qui constate le décès. Il avait 47 ans. Le mercredi suivant, il était enterré auprès de son père, dans la tombe qui aurait dû être la sienne, à elle. Tout l’hiver, elle avait revécu l’enterrement dans son ordre inéluctable : l’arrivée … Lire plus