Afin d’éclairer les parlementaires1, il a été imaginé de leur remettre un rapport sur le regroupement des principales sociétés de l’audiovisuel public sous une holding dénommée France Médias. C’est ainsi qu’une ancienne dirigeante de Radio France, appuyée par deux hauts fonctionnaires, a remis au Parlement le 17 juin dernier un rapport intitulé « Mission d’accompagnement à la constitution d’une holding France Medias ». Il ne s’agit pas d’une analyse objective, mais de l’accompagnement d’un projet déjà conçu dans ses grands traits et ses modalités pratiques. Il reste que les arguments avancés par la bien nommée « Mission d’accompagnement » peinent à convaincre.

Le rapport identifie quatre défis que la holding permettrait de relever : la concentration des médias, la défiance envers les médias traditionnels, la fin de la consommation linéaire et les ruptures technologiques, notamment l’IA. Il note à juste titre que la télévision s’effondre chez les jeunes, que la radio recule dans les classes populaires et que 62 % des Français s’informent d’abord via les réseaux sociaux. Ce constat lucide pourrait tout aussi bien orienter vers une pluralité d’acteurs et des stratégies différenciées plutôt que vers la centralisation.
Un propos incohérent
Entrant dans le vif du sujet, le rapport note que les coopérations dites « par le bas », entre Radio France et France Télévisions ont échoué, faute d’accord des directions, faute que l’état arbitre les différends. Une gouvernance unique permettrait de dépasser les objections que se font les unes aux autres les directions générales. Bizarrement, le rapport relève des échecs qui concernent surtout les chaînes de télévision publiques, tel le lancement de la chaîne publique d’information en continu, l’un des plus beaux ratages de France Télévisions (après la plateforme Salto).
On ne peut donc pas dire que la télévision ait manqué de décisions fortes. Il est dès lors paradoxal de conclure que les « atermoiements (…) ne sont plus tenables au regard des défis communs qui s’annoncent », et qu’une « gouvernance unique chargée d’arbitrer et d’impulser une stratégie cohérente à l’échelle de l’audiovisuel public est indispensable », car « elle permettra de rééquilibrer les priorités et les ressources et d’impulser un mouvement commun et partagé. » C’est admettre que le but est la concentration des pouvoirs managériaux et la mutualisation des fonctions centrales : une solution à la française, caporaliste, aux difficultés corporatistes, naïvement optimiste sur les économies possibles. Le rapport avertit cependant qu’il ne faudra pas sacrifier les intérêts de la radio, que l’on suppose menacés par une future direction issue de France Télévisions. Cohérence admirable du propos.
Un jargon numérique
Le but de la réforme, nous dit le rapport, est de créer « une offre puissante de format natifs ». Malgré le jargon numérique, le rapport n’explique pas en quoi une nouvelle structure permettrait ce succès. Si l’objectif est la création de contenus numériques de qualité, la question est moins celle d’une organisation centralisée que celle des talents, des moyens et de la liberté de création. À aucun moment d’ailleurs, les auteurs du projet de réforme et les rédacteurs du rapport ne sont allés voir comment s’y prennent les secteurs réputés pour leur créativité, l’édition et la production de films (réponse : sans centralisation).
Sans craindre la contradiction, le rapport recommande de concentrer l’effort, non sur la production, mais sur la distribution : il faudrait reconditionner les contenus linéaires pour les supports numériques, mobiliser des moyens pour recruter des experts digitaux, les former. Mais il n’explique pas en quoi une direction centralisée faciliterait cette stratégie.
Concernant les coûts, le rapport enjoint de limiter les dépenses liées à la création de la holding et aux alignements de statuts. Louable mais peu réaliste. L’idée d’une holding simple cellule de coordination ne correspond guère à la culture administrative française. En réalité, la direction de la holding désignera des patrons de filiales choisis pour leur proximité, leur loyauté et se dotera d’un cabinet qui sera le vrai pôle de décision du nouvel ensemble. La proposition de loi confère d’ailleurs à la holding certaines missions opérationnelles.
Un risque d’appauvrissement des projets
L’unité de direction risque ainsi de conduire à l’appauvrissement de l’ensemble en idées, en projets et en talents, ne serait-ce que parce que tout finira par un plan stratégique unique, décliné avec plus ou moins de variations. Elle risque aussi de donner à toute stratégie, à tout projet une forme et un axe uniques, accroissant ainsi le coût de l’échec. D’ailleurs, à la fin du rapport, ces auteurs se préoccupent de préserver la diversité des contenus malgré la concentration des pouvoirs au profit du président de la holding. Ils tablent sur le talent, le professionnalisme et la puissance de conviction des dirigeants de filiales placées sous son autorité, « qui seront responsables chacun pour ce qu’il concerne de la réussite de leur plateforme ». Logique de corps d’armée.
Le rapport, à son insu, illustre la vision administrative qui le fonde : changer la structure suffirait à changer le fonctionnement. Or, depuis Michel Crozier, on sait que les organisations ne se transforment ni par décret ni par organigramme. Elles évoluent par la vision stratégique, la mobilisation des équipes, les expérimentations et des outils adaptés. Ce n’est pas une holding qui générera des contenus viraux, natifs, adaptés aux nouvelles logiques attentionnelles. Pire, cela peut nuire.
Il serait plus franc d’assumer une logique de recentralisation budgétaire plutôt que de l’habiller d’une ambition stratégique sans contenu. On fait évidemment l’hypothèse que la recentralisation politique ne fait pas partie des objectifs de la réforme.
Stéphan Alamowitch et Nicolas Mariotte
Stéphan Alamowitch est Avocat au Barreau de Paris, maître de conférences à l’IEP de Paris et directeur de la rédaction de Contreligne. Nicolas Mariotte est associé du cabinet de conseil Managerim.
Notes
↑1 | Une première version de cet article a paru dans le quotidien La Croix, édition du 1er juillet 2025. |
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