Le trumpisme et l’extrême-droite française se sont rapprochés ces derniers mois, et effectivement ils ont beaucoup en commun, à commencer par l’idée de se venger de nos sociétés trop libérales, trop libres. S’ils apportent le même genre de solutions aux problèmes de l’heure, ils font aussi tous deux remonter en surface un passé, des valeurs qui avaient perdu leur crédit. Cette exhumation est plus visible aux Etats-Unis qu’en France, mais seulement parce qu’elle a commencé plus tôt Outre-Atlantique.
La revanche de la Guerre de Sécession
Aux Etats-Unis, le trumpisme est souvent analysé comme la revanche de la Guerre de Sécession. A la nation libérale, démocratique, universaliste que voulait incarner le Nord, le Sud Confédéré opposait une définition ethnique, religieuse et hiérarchique des institutions politiques et de la vie sociale. La défaite du Sud a fait disparaître ce modèle sur lequel les États-Unis auraient pu se refonder s’il n’y avait eu Lincoln et le général Grant. De fait, Donald Trump a souvent mobilisé des symboles de la cause sudiste, prenant la défense des monuments confédérés menacés d’être déboulonnés, minimisant le racisme ; il s’est présenté comme le défenseur du mode de vie traditionnel contre les élites urbaines et progressistes, assimilées au Nord. C’est dans le vieux Sud que Donald Trump fait presque toujours ses meilleurs scores. Le Sud (au sens politique plus que géographique) a repris l’avantage politique et moral, comme jamais depuis sa défaite de 1865.
La revanche, nous dit le Trésor de la langue française, c’est le fait de rendre la pareille pour un mal que l’on a reçu (un préjudice, une injure), de racheter une défaite par une victoire. C’est une part de ce que l’on voit aux Etats-Unis, la hargne, la brutalité.
Quand l’extrême-droite tient sa revanche
La xénophobie, le dégagisme de nos classes populaires, deux traits devenus identitaires hélas, fourniront probablement au Rassemblement national les scores qui permettent d’accéder au pouvoir, seul ou en coalition. Ce sera pour l’extrême-droite l’occasion d’une revanche sur les années d’exclusion et d’opprobre. Cette revanche, elle l’attend depuis l’après-guerre, quand ses valeurs ont perdu leur influence, quand ces représentants ont été jetés en prison ou frappés d’indignité nationale. La publication opportune de deux biographies de Jacques Benoist-Méchin permet de voir de quel bois ces gens étaient faits1.

Dans ce secteur de l’opinion, on sent poindre l’envie de rouvrir le débat. Il est appartenu à l’inénarrable Eric Zemmour de reconsidérer la politique antisémite du Maréchal Pétain – chaque génération a ses esprits faux. Son livre Le suicide français s’est vendu à 500.000 exemplaires et serait en cours d’adaptation par le groupe Bolloré. Dédouaner le pétainisme des persécutions antisémites, c’est le préserver de ce qui le rend inassimilable par l’opinion actuelle (enfin, on l’espère), et réhabiliter sa philosophie profonde : la nation mais réduite à un nationalisme d’exclusion, les hiérarchies naturelles, l’ordre, la religion éternelle2… Cela se lit déjà. La presse Bolloré est objectivement néo-pétainiste. Faisons lui confiance pour resservir, le jour d’après, les couplets sur ces mensonges qui ont fait tant de mal, sur l’esprit de jouissance. Parions aussi sur la redécouverte des écrivains de la Collaboration, officielle cette fois, par les autorités publiques et non seulement dans certains cercles, pas forcément les Drieu et Brasillach, banals aujourd’hui, mais les régionalistes3. On voit bien ce que deviendra le roman national si l’extrême-droite obtient les postes de pouvoir. Le Puy-du-Fou a montré le chemin.
Comme les fantômes du Sud Confédéré avec Donal Trump, les fantômes des années 40 se préparent à revenir avec ce qui a été refoulé aux marges après-guerre. Réapparaitront des types humains revanchards et malveillants, les descendants spirituels de Vichy et de la Milice, ceux de l’OAS. Cette nouvelle classe dirigeante aura son credo, des valeurs, une esthétique. Ce sera laid. Le fond de l’air changera.
Serge Soudray
Notes
↑1 | Bernard Costagliola, Benoist-Méchin, un nazi français, CNRS, 2025, recommandée par Contreligne, et Eric Roussel, Jusqu’au bout de la nuit : Les vies de Jacques Benoist-Méchin (1901-1983), Editions Perrin, 2025 – pas encore lu. |
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↑2 | Très au-delà des positions de l’Eglise Catholique. |
↑3 | Christian Faure, Le Projet culturel de Vichy, 1989, Presses Universitaires de Lyon. |