Difficile de comprendre ce qui a pu pousser certains parlementaires, et aujourd’hui le gouvernement, à presser le pas pour proposer une réforme de l’audiovisuel public aussi mal conçue que mal préparée. On sait que le gouvernement prévoit la création d’une société holding qui regrouperait la plupart des sociétés composant l’audiovisuel public et qu’il serait procédé à une fusion générale au début de l’année 20261.
Comme on pouvait s’y attendre, la question des missions a moins occupé les esprits que celle des processus de désignation du président du nouvel ensemble. Sur ce point, il est prévu que le président de la nouvelle holding soit nommé pour cinq ans par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (l’Arcom). On ne voit pas en quoi cette réforme des structures capitalistiques et des modes de gouvernance pourrait conduire à proposer, comme il est annoncé, une offre plus riche, mieux mise en avant et qui s’adresserait à tous les Français. Cette réforme, bien hâtive, est inepte, et pour au moins trois raisons.
Où l’on confond radio et télévision
Tout d’abord, elle fait l’hypothèse que la radio, d’un côté, et la télévision, de l’autre, relèveraient d’un même secteur, qui gagnerait à bénéficier d’une unité de direction et d’une concentration des moyens. C’est oublier que ces deux médias ont, ces dernières années, présenté des caractères et des évolutions très différents. La crise de la télévision s’est déroulée alors que la radio en général et les chaînes publiques en particulier connaissaient un nouvel essor, tant du point de vue de la qualité des programmes que de la progression de la diffusion – soit l’exact inverse de ce qui a frappé la télévision.
On peut, au contraire, risquer l’idée que ces deux secteurs sont foncièrement différents, malgré les apparences et malgré une certaine communauté technique, et qu’il est plus important de les dissocier que de les réunir dans une organisation unique. De plus, la concurrence des plateformes, qui est effectivement un défi auquel les chaînes de télévision doivent répondre, n’a pas les mêmes conséquences pour la radio, protégée à maints égards par le périmètre culturel et linguistique qui est le sien.
Quand l’on s’illusionne sur les économies
La réforme fait ensuite un pari hasardeux sur les modalités pratiques du regroupement sous une société holding, puis de la fusion de toutes les sociétés qui composent l’audiovisuel public. Il ne suffit pas de décréter que les droits, biens et obligations de toutes les sociétés concernées seront de plein droit transférés à une nouvelle société. Il faut l’organiser. Or, la mise en œuvre en sera compliquée, tant au regard du droit des sociétés que du droit du travail, pour ne prendre que les deux principaux écueils, sans même parler des risques de conflits sociaux. À tous les coups, elle s’accompagnera de missions de consultants externes nombreuses, prolongées et coûteuses – à les supposer utiles et bien menées.
L’inquiétude est d’autant plus justifiée que le secteur public de l’audiovisuel ne s’est jamais signalé par ses talents managériaux. On rappellera, tout récemment, l’échec de la chaîne publique d’information en continu, mal conçue dès l’origine et aujourd’hui inutile, et celui de la plateforme Salto, mal conçue et mal liquidée. Dans ce secteur, les réformes ont souvent été l’occasion de gaspillages qui ont aggravé la dispersion des moyens qu’on voulait conjurer.
Cette réforme sera-t-elle l’occasion d’économies budgétaires majeures ? On peut donc en douter, et en tout cas celles-ci ne seront pas immédiates. Il est sûr en revanche qu’elle consommera des ressources et un temps qui auraient pu être employés à des projets moins ambitieux, mais mieux conçus.
Rien de résilient !
La réforme fait enfin et surtout l’impasse sur une notion pourtant bien connue : la résilience du système. Un organisme unique à commandement intégré sera nécessairement plus sujet aux crises et aux déperditions d’énergie, malgré l’apparence d’économies budgétaires qu’il procurera, qu’un certain nombre d’organisations coordonnées qui conserveraient une vraie autonomie. Le projet de fusion paraît ignorer tous les critères habituellement observés dans les systèmes résilients : la diversité, la modularité, la différence entre les cycles qui marquent chacune des unités, l’identification et l’implication collective des personnels au sein de chacune d’elles. Bref, ce qu’il faut pour assurer la solidité de l’ensemble et la diversité de l’offre éditoriale. Au lieu de cela, unité du commandement et unique « plan stratégique », même pour le malheureux INA, le sacrifié de toute la réforme…
Dans les groupes d’édition ou les grandes sociétés de publicité, l’organisation autour d’une holding chapeautant des maisons d’édition ou des agences conservant une certaine indépendance est la norme, et donne d’excellents résultats, dont Hachette-Livre est un exemple bien connu. Mais cela tient au fait que les filiales sont animées par des équipes managériales légitimes, distinctes et originales, auxquelles il est reconnu une vraie autonomie, et qui sont même souvent, dans la publicité, détentrices d’une part du capital.
Cela ne sera pas le cas dans les différentes filiales de la future holding, ni dans les divisions internes qui leur succéderont. Le personnel qui les animera n’aura ni le pedigree, ni la légitimité, et probablement pas non plus les projets originaux qui permettent d’exister face à une direction toute-puissante. Ce sera d’autant plus vrai que la direction en cause sera la seule à avoir reçu l’onction de l’Arcom2, qui a aujourd’hui cette compétence pour France Télévisions, Radio France et l’audiovisuel extérieur, et qu’elle aura donc une légitimité d’une autre nature que celle des autres dirigeants de pôles, ramenés au rang de directeurs de divisions.
Un pluralisme à préserver, mais autrement
La réforme permettra-t-elle de renforcer, ou au moins de préserver, le pluralisme au sein de l’audiovisuel public ? Certains journalistes de Radio France croient que ce sera au contraire le moyen d’une remise au pas. Il n’est pas nécessaire de les suivre, et admettons qu’une vraie question de pluralisme se pose aujourd’hui au sein de certaines chaînes du secteur public, quoique le secteur privé ne soit pas en reste de ce point de vue ! On peut néanmoins leur concéder qu’il existe bien parmi les partis les plus conservateurs une volonté de sanctionner le secteur public pour ce qui est considéré comme un certain nombre de dérives gauchisantes.
La question du pluralisme politique dans les médias audiovisuels mérite d’être posée, mais, en tout état de cause, la création d’une holding puis la fusion générale, à la seule exception des médias extérieurs, n’est pas la solution qu’on veut y voir. Cette réforme de l’audiovisuel public est une ineptie. Espérons qu’elle ne trouvera aucune majorité pour la voter.
Stéphan Alamowitch
Avocat au Barreau de Paris, maître de conférences à l’IEP de Paris dans un séminaire consacré à la régulation des médias, et directeur de CONTRELIGNE
Notes
↑1 | Une première version de cet article a paru dans l’édition du 27 mai du quotidien La Croix. |
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↑2 | La réforme ne prévoit au demeurant qu’une seule forme de gouvernance, autour d’un président-directeur général, sans imaginer qu’une certaine dissociation des fonctions pourrait être plus appropriée. |