Trop de maths à l’Inspection ?

Au hasard des notifications de LinkedIn, on découvre que l’Inspection des finances vient d’accueillir six nouvelles recrues, toutes pourvues d’un palmarès scolaire de premier ordre, exceptionnel. École polytechnique, École des mines, École normale supérieure, Stanford… Ces pedigrees scientifiques de très haut niveau laissent admiratifs, mais conduisent à une réflexion beaucoup plus sombre sur le dévoiement des études scientifiques. La surveillance des politiques publiques et des comptes de l’État requiert-elle des facultés d’abstraction et des capacités logiques si supérieures à la moyenne ? Les missions qui leur seront confiées dans ce début de carrière, aussi importantes et honorables qu’elles soient, ne sont-elles pas un gâchis de tant d’intelligence ?

Cette promotion est présentée comme l’effet d’une politique d’ouverture, au delà de la provenance habituelle des membres de ce corps, en suite de la réforme de l’ENA. Ce n’est pas faux mais cela pose la questions des débouchés offerts (ou plutôt refusés) aux talents scientifiques1. Selon le message officiel, il faut désormais des profils de “data scientists”… L’argument convaincra les convaincus. Il est probable aussi que ce style de recrutement vise à donner à l’Inspection des finances une aura intellectuelle et un surcroît de prestige et d’autorité, sans nécessité au regard des missions qu’elle assume. La légitimité se construit de mille manières…

La réflexion devient plus sombre encore si l’on songe que parmi ces six jeunes gens, se cache probablement le futur Jean-Marie Messier ou le futur Jean-Charles Naouri des années 2040, et que certains d’entre eux, sinon tous, seront attirés par les montages financiers alambiqués et les rémunérations hors norme qu’on obtient dans les banques d’affaires ou les directions de grands groupes – loin de l’intérêt général, très loin des fifrelins que la nation octroie aux vrais scientifiques, du début à la fin de leur carrière. Il sera intéressant de suivre cette promotion sur les 20 prochaines années pour observer les choix professionnels de ses membres, et quel sera l’âge du premier pantouflage.

Mais la question du passage au Privé n’est même pas la question essentielle. À l’issue de la crise financière de 2008, il était souvent souhaité que dans l’intérêt de tous, la finance devienne ennuyeuse et cesse d’attirer les forts en maths, inutiles et souvent dangereux dans ce domaine.  La même chose devrait être dite aujourd’hui de l’Inspection des finances, qui n’a aucune raison de capter, par les carrières dans et surtout hors de l’État qu’elle procure,  les meilleurs esprits d’une génération.

Nicolas Tisler

Notes

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1Et autre question (mais c’est un autre ordre de réflexion) : pourquoi si peu de vrais économistes dans ces recrutements ?
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