Les grimaces du populisme, la voix de l’extrême-droite

L’essai vif et percutant que livre Claire Sécail, historienne des médias, au sujet de Cyril Hanouna et de sa contribution au projet politique du groupe Bolloré est bienvenu, même s’il sera probablement insuffisant à arrêter la vague de fond qui s’annonce.

L’émission Touche Pas à Mon Poste avait défrayé la chronique dès les années 2010 par la vulgarité ostentatoire de ses animateurs, et de Cyril Hanouna en particulier dont la grossièreté et l’impudence sont sans précédent à la télévision française. On se souvient des nouilles versées dans le caleçon de son  acolyte… Mais ce que l’on croyait être une stratégie tapageuse pour amasser de l’audience est devenu aujourd’hui tout autre chose, avec la complicité de l’animateur, puisque le groupe Bolloré mise sur ses émissions pour diffuser les messages destinés à reconfigurer la culture politique des classes populaires. On est bien au delà des chansonniers poujadistes d’autrefois1, et loin aussi du simple infotainment.

Claire Sécail ne le pointe pas assez : il aura fallu toute la mollesse du régulateur de l’audiovisuel, l’ARCOM, pour que cette émission prenne une telle importance dans le paysage médiatique, au point qu’elle en est devenue intouchable. Sanctions rares, tardives, au terme d’instructions interminables, sans grand chose d’incisif, et avec le risque désormais que l’animateur prenne son public à témoin, comme NRJ avait su le faire dans les années 80. Lui a certainement atteint son objectif en termes d’audience, de popularité. C’est parce que l’émission est intouchable qu’elle a été choisie par le groupe Bolloré pour diffuser les idées réactionnaires qu’on lui connait.

Deux volontés de puissance se sont combinées, pour un résultat qui  n’a pas grand-chose à voir avec les principes de la loi de juillet 1986 sur l’audiovisuel, dont on oublie qu’elle institue des obligations à la charge du secteur public mais aussi des chaines privées, à commencer par le respect du principe de dignité.

Antiparlementarisme et populisme pénal

L’historienne identifie très justement les deux thèmes politiques qui font l’ordinaire des émissions depuis près de dix ans : l’antiparlementarisme et le populisme pénal – thèmes classiques de l’extrême droite. La troisième thématique que relève Claire Sécail, l’anti-intellectualisme et le refus de l’élitisme culturel, sont habituels dans le divertissement commercial. Par eux-mêmes, peut-on penser, ils ne prêtent pas à conséquence. Philippe Bouvard n’a jamais fait de mal à personne.

L’antiparlementarisme, note-t-elle, s’est marqué ces deux dernières années par les prises à partie hargneuses de responsables politiques, et notamment de députés, sans égard pour leur statut institutionnel. Rien de nouveau car les accusations portées contre le monde politique sont les mêmes que dans les années 30 ou au temps du poujadisme, 20 ans plus tard. Les élus sont censés être, presque tous,  incompétentsmalhonnêtes, payés à ne rien faire…. Cet antiparlementarisme a permis aux Gilets Jaunes de se retrouver dans l’animateur, et à ce dernier de se retrouver dans les Gilets Jaunes, en qui il voit le « vrai » peuple et auxquels il a voulu donner la parole. Claire Sécail rappelle qu’il s’est voulu un médiateur entre l’État et cette mouvance qui n’a jamais su trouver de leader, et elle rappelle aussi que le macronisme  n’a pas été loin de lui reconnaitre un rôle de ce genre. Elle parle justement de la « stratégie populiste du gouvernement ».

A cet égard, on ne peut guère s’étonner de la complaisance de l’État – du président de la République, aux ministres et à l’ARCOM2 – pour cette émission et ses chroniqueurs : le personnel macroniste, bien conscient de n’avoir qu’une base sociale étroite, est à la recherche du peuple, et la télévision commerciale dans sa forme la plus populaire lui paraît un bon canal de communication. Il ne faut ainsi heurter ni Hanouna par « respect pour le peuple », ni Bolloré par sens du rapport de forces ; il faut essayer de les séduire, et de nombreux ministres s’y sont employés sur les plateaux de TPMP. Le résultat n’est pas fameux.

Le populisme pénal, qui est devenu virulent ces derniers mois, donne la mesure de l’échec. La justice française est certainement en crise et particulièrement la justice pénale, mais le plateau de l’émission est ouvert aux délinquants, pour faire de l’audience, à tous ceux qui contestent les décisions de justice et à tous ceux qui contestent les principes de la justice libérale. Paradoxe : par sensationnalisme, l’émission met en valeur ceux qui violent la loi de près ou de loin comme ceux qui jugent la justice trop laxiste, trop compliquée quand elle devrait être simple et immédiate ; et elle convoque les victimes au risque de les rendre encore plus fragiles. La règle, c’est la confusion sur le plateau et l’échange d’invectives. Les chroniqueurs d’extrême-droite ont alors beau jeu de rappeler que l’ordre n’est plus garanti et que les honnêtes gens ne sont plus défendus…

L’indécence ordinaire

Prolongeons ce que dit Claire Sécail. Ce populisme pénal inquiète plus que l’antiparlementarisme, qui cessera certainement dès que le Parlement aura la couleur souhaitée par le groupe Bolloré, car il prépare l’opinion à une remise en cause des libertés publiques et des principes de la justice libérale.

Le retour à l’ordre aura une allure qu’on connait bien. L’animateur, qui n’est probablement pas réactionnaire lui-même, en est à inviter dans une émission satellite de la première3 les militants ultra-catholiques qui contestent le droit à l’avortement. Ces invitations, note l’historienne des médias, se font au prétexte du contradictoire, car pour l’animateur, tout le monde doit avoir la parole… Et c’est ainsi qu’on introduit comme thème légitime de débat télévisé la revendication d’une minorité que les institutions et les mœurs étaient parvenus à cantonner aux marges de la société.

On en conclura, au delà du propos de Claire Sécail, que pour le groupe Bolloré, l’animateur en question est une sorte de décapsuleur, l’instrument grâce auquel on permet à un liquide malodorant de sortir de la bouteille où le contenaient les valeurs démocratiques et la décence ordinaire. Cyril Hanouna satisfait son goût de la popularité, l’extrême-droite transmet ses message aux classes populaires, pendant que le Journal du Dimanche les propage dans les classes moyennes. Se prépare ainsi une relève dont on discerne assez bien la nature et le programme.

Serge Soudray

Claire Sécail, Touche pas à mon peuple, Seuil, coll. « Libelle » 84p, 5,90 €

Notes

Notes
1Ces humoristes de cabaret, qui exerçaient leurs talents à une époque de partis structurés et d’institutions somme toute respectées, s’en prenaient surtout au fisc et aux gendarmes
2L’ARCOM dont le président a toujours un grand talent pour deviner ce qui est attendu.
3Balance ton post.
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