Les photographies d’Isabelle Boccon-Gibod se caractérisent par la forme. Elle est rendue visible, structure l’image ; elle en est la vérité sous-jacente. L’idée en vient immédiatement quand on regarde ces photographies de ponts et plus précisément, le plus souvent, du dessous des ponts, de leur structure de pierre ou de métal qui soutient le tablier – structure parfois complexe à discerner quand elle est faite de poutrelles et de blocs de pierre mêlés, mais que l’œil ordonne dans une présentation symétrique, lisible. Elle vient aussi à l’esprit devant les familles que la photographe, dans un album récent, dispose toutes dans un ordre qui parait strict, mais qui n’efface pas la dimension humaine, les visages, les regards. C’est une forme qui ne brime pas les personnes conduites devant l’objectif.
Cette préférence pour la forme, celle qui structure l’image sans l’appauvrir, ne rend pas compte de toutes les photos d’Isabelle Boccon-Gibod. Certaines délaissent la forme et repèrent plutôt la trace : le reflet capté par les jeux de vitres, ce visage qui s’efface dans un fondu au blanc, le mouvement une seconde auparavant d’une personne que l’on pressent hors de la pièce vide ou dans l’escalier dont on ne voit que les marches, ces gants que l’on vient d’ôter … La photographe capte ce qui est fugace ou près de s’effacer. La forme reste présente, mais elle n’est plus ce qui frappe le spectateur. On imagine qu’un fantôme vient de quitter les lieux.
On ne saurait terminer sans parler du dernier travail commencé par la photographe, dont la huitième photo de notre galerie est un exemple. Isabelle Boccon-Gibod a commencé un travail au long cours consistant à photographier des personnes qui le lui auront demandé, juste après leur mort. Il s’agit, selon ses propres mots, d’une photographie entreprise comme un dernier soin. On devine aussi qu’elle voudrait pousser à son point limite cette tension, peut-être propre à la photographie, qui fait ressentir que toute image témoigne aussi d’une absence, cette absence qu’on peut éprouver du regard.
Son travail a intégré, il y a un an, la collection permanente du Centre Pompidou.
Voici un ensemble de neuf photos, bonne illustration de son travail, sur lesquelles cliquer pour les voir en mode plein écran, à leurs vraies dimensions.
Piotr Wideltzky
1. Paris, 2011
2. 2016
3. Rue Cassini, 2017
4. Rue Cassini, 2018
5. Chamant, 2007
6. Roquebrune (E.1027), 2021
7. Roquebrune (E.1027), 2021
8. 2022
9. Sun City, 2019
Isabelle Boccon-Gibod est représentée par la galerie « Salon H ».
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E-1027 d’Isabelle Boccon-Gibod, par Thierry Grillet, Contreligne, Juin 2022