Après Marx peut attendre (2021), documentaire sur et avec la famille Bellocchio qui éclaire, en les citant directement à l’écran, les films de sa trilogie biographique (Les Poings dans les poches, 1965, Les Yeux, la bouche, 1982, Le Sourire de ma mère, 2002) et met en évidence, plus généralement, l’impact de cette histoire familiale dramatique sur la quasi-totalité de son œuvre, Marco Bellocchio réalise avec L’enlèvement un film qui imbrique magistralement la grande Histoire et l’histoire particulière d’une famille déchirée, le passé et l’actualité.
L’enlèvement est en effet une condamnation sans appel de tout intégrisme religieux, et de l’intégrisme catholique en particulier, capable d’arracher à sa famille un petit garçon juif de six ans, supposé être en danger d’apostasie.
Bologne, Émilie-Romagne, en 1858
Cette région fait alors partie des États pontificaux sous la férule du Pape Pie IX, intransigeant, dogmatique et sourd aux bouleversements et protestations qui agitent le monde autour de lui. Alors que certains de ses prédécesseurs avaient été plus circonspects, il n’hésite pas à appliquer les décisions du quatrième concile
de Tolède, qui eut lieu en 633, pour soustraire à leurs familles des enfants non chrétiens prétendument baptisés et ainsi « sauver leur âme » en les rendant à la grande famille catholique. C’est ainsi que le jeune Edgardo Mortara, sixième rejeton d’une famille de confession juive de huit enfants, habitant via delle Lame, dans le centre de Bologne, fut arraché à sa famille, le 23 juin 1858, à dix heures du soir, sur les ordres de l’inquisiteur Pier Gaetano Feletti, père dominicain et neveu du Pape, sous prétexte qu’il avait été ondoyé, c’est-à-dire baptisé d’urgence, par une ancienne employée chrétienne de la famille, qui crut que l’enfant alors âgé de quelques mois était en danger de mort. Le jeune garçon est envoyé sur le champ à Rome, à la maison des Catéchumènes, où il pourra être éduqué en bon Chrétien, comprendre peu à peu combien l’Église fut miséricordieuse en l’arrachant à ses parents mécréants et la servir durant toute sa vie avec un dévouement sans faille.
En s’inspirant de ce fait tristement historique, Marco Bellocchio nous plonge dans les affres et tourments d’une famille privée d’un enfant et d’un enfant privé de l’amour maternel, et il met en scène de façon remarquablement sensible et nuancée la plasticité d’une jeune personnalité, ainsi que l’adresse machiavélique des redresseurs de torts en matière de lavage de cerveau.
Sa caméra nous fait voyager à travers l’Italie merveilleuse et éternelle, des arcades de Bologne, de sa Piazza Maggiore, aux rives du Tibre, reconstituées pour l’occasion telles qu’elles étaient avant que le fleuve ne soit canalisé, en passant par la descente du fleuve Reno jusqu’à l’Adriatique. Car c’est bien ce long voyage qui éloigna le jeune Edgardo de tout ce qui lui était cher, mais, derrière ses larmes, nous comprenons sa
fascination devant le spectacle qui s’offre à lui…
Françoise Rétif
Film italien, français et allemand de Marco Bellocchio, avec Paolo Pierobon, Fausto Russo Alesi, Barbara Ronchi, Enea Sala, Leonardo Maltese (2 h 15)