Le dernier Guédiguian, joli film d’un autre temps

On trouvera dans le nouveau film de Robert Guédiguian, Et la fête continue !, tout ce qu’on trouve d’habitude et qu’on aime dans ses films : Ariane Ascaride, Jean-Paul Darroussin, une chronique familiale douce-amère, une touche arménienne, Marseille, et bien sûr l’engagement généreux, classique de la gauche d’autrefois, proche de ce que pouvait être les idéaux communistes au temps de l’Union de la gauche, au moins chez les militants de base – militant communiste tel que l’est resté le frère du personnage principal, bien conscient d’être parmi les derniers du genre.

Rosa (Ariane Ascaride) et Henri (Jean-Pierre Darroussin) DIAPHANA

Ce personnage principal, c’est Rosa, infirmière ou médecin à l’hôpital de la Timone, militante de la gauche locale qui ne réussit pas à constituer une liste d’union aux municipales et qui s’épuise à l’hôpital, comme le reste du personnel. L’un de ses fils tient un vieux bistro arménien ; l’autre est médecin et aide les sans-papiers. Le premier tombe amoureux d’une jeune chanteuse qui veut faire du théâtre populaire alors que le second s’interroge sur l’opportunité de partir aider, en tant que médecin, l’Arménie attaquée par l’Azerbaïdjan. Pendant ce temps, Rosa tombe amoureuse du père de celle qui va devenir sa belle-fille. La chronique familiale comporte son lot de tensions mais Rosa, longtemps restée veuve, pressent qu’elle parviendra enfin à un certain bonheur privé. Malheureusement, c’est le moment où il lui faut convaincre tous les partis de s’unir dans une gauche de propositions, proche des gens, malgré les passés de chacun de ces partis – passés dont elle admet qu’ils ne sont pas très « reluisants ». Le bonheur privé confronté aux exigences de la vie militante, et à cette espérance de salut personnel par la lutte collective, si enracinée dans cette gauche…

Le film est attachant et se voit avec plaisir.  Cependant son enracinement politique laissera froid ceux qui ne partagent pas les convictions du cinéaste, qui le situent entre Télérama et l’Humanité, et qu’il fait entrer au forceps dans son intrigue. Tout y passe : dégradation des services publics, crise l’hôpital, fatigue des personnels médicaux, délabrement des quartiers pauvres, malheureux Sans-papiers1.

Le présent d’une illusion

Il reste surtout que Et la fête continue ! donne l’impression d’un monde bien ancien, qui a de l’engagement politique la vision que le film Les Choristes avait de la vie scolaire. Ce monde est plus rêvé que décrit sérieusement. C’est celui que le cinéaste voudrait ressusciter, pas vraiment celui d’aujourd’hui, ni à Marseille, ni dans la gauche française. Fait à cet égard le plus notable, il manque dans ce film deux éléments de la vie contemporaine et de la vie marseillaise tout spécialement dont l’absence étonne – absence qui signale la douce inadéquation du cinéaste à son temps.

Manque d’abord dans ce film le monde de l’entreprise, petite ou grande. Les personnages tirent le revenu et leur raison d’être du secteur public, de l’hôpital de la Timone, de l’Education nationale, des professions de chauffeur de taxi ou de patron de bar, mais aucun n’exerce une fonction dans une entreprise, à quelque rang que ce soit, et bien sûr aucun n’est chef d’entreprise. Le secteur privé moderne n’apparaît jamais dans le film. Il n’est jamais filmé. Le privé est hors-champ, loin, dans le camp d’en face. Le chauffeur de taxi communiste se plait à dire qu’à Marseille, il n’y a ni bourgeois, ni fascistes – vision de myope ou plutôt vision du monde dont rêve le cinéaste.

Manque aussi et surtout dans ce film un élément distinctif de la vie marseillaise : la communauté2 maghrébine. On sait que Marseille est aussi une grande ville du Maghreb, et c’est un point qui la distingue et la rend originale à de nombreux égards. C’est aussi l’une des clefs de son économie et de son charme, bien au-delà des faits-divers liés au trafic de drogue. Dans ce film, n’apparait aucun personnage  venu il y a longtemps ou tout récemment des pays du Maghreb ; les sans-papiers viennent d’Afrique sub-saharienne ; on ne voit à l’écran quasiment aucune femme voilée alors que la réalité de la ville est tout autre compte tenu des évolutions de l’islam populaire. Un déjeuner entre la chef de chœur et son père se passe dans un petit restaurant aux murs décorés de zelliges, mais c’est tout.

On n’accusera bien évidemment pas le cinéaste d’un quelconque racisme ou d’une hostilité envers une communauté bien inscrite dans le paysage marseillais, n’en déplaise à la presse d’extrême-droite, Causeur ou Valeurs Actuelles, aux articles sur Marseille si prévisibles. L’explication est à rechercher ailleurs : c’est que le logiciel politique de Robert Guédiguian n’arrive pas à prendre en compte une réalité ethnique et culturelle distinctive de ce qu’est Marseille.

De la même façon, on l’a souvent remarqué, le cinéma de Woody Allen accorde très peu de place à la communauté, à l’histoire, aux personnages afro-américains – et peu, c’est encore beaucoup dire ! Cette composante de la vie américaine ne rentre pas dans le logiciel de Woody Allen. Là non plus, il ne s’agit pas de racisme ou d’une volonté malveillante, mais d’une difficulté du cinéaste à faire fonds et à prendre en compte une réalité étrangère à sa matrice culturelle, à en faire un élément de fiction avec son poids propre de réalité.

Avec une dimension plus directement politique, c’est exactement ce qui se passe, risquons l’idée, avec Robert Guédiguian et ce film en particulier. Sa sensibilité politique, sa vision ne peuvent s’accommoder de l’économie de marché et, au-delà de la compassion pour les Sans-papiers, de la diversité culturelle de sa ville, avec ce qu’elle charrie de différences et parfois de tensions.

Ces remarques font espérer que Robert Guédiguian, cinéaste justement célébré, fera bientôt un film plus nerveux, moins surchargé en thèmes qui pour lui vont de soi et lui font plaisir, un film contemporain.

Stéphan Alamowitch

Et la fête continue ! Film français de Robert Guédiguian. Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Lola Naymark, Robinson Stévenin, Gérard Meylan, Grégoire Leprince-Ringuet, Alice Da Luz Gomes (1 h 46).

Notes

Notes
1Rien pourtant de précis sur ce qui fait le point de départ du film, l’effondrement de deux immeubles du centre-ville, qui témoigne plus de l’impéritie des services municipaux que des méfaits du capitalisme…
2Mot commode mais qui gomme la diversité des situations et des personnes.
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