À lire les romans étrangers traduits en français, on s’aperçoit que la traduction littéraire maintient l’usage du passé simple, temps qui a souvent disparu de la langue parlée et qui se fait rare dans la fiction contemporaine, au moins depuis l’Etranger de Camus. Le passé composé le remplace parce qu’il aurait une vivacité, une immédiateté, une simplicité que n’aurait pas le passé simple. Il semble que les règles d’usage en vigueur jusqu’au XIXème siècle soient désormais oubliées, et un certain arbitraire paraît aujourd’hui régner dans le choix entre passé simple et passé composé. La traduction littéraire évoluerait-elle sur ce point ? Nous avons demandé à Jean-Pierre Pisetta, traducteur et auteur lui-même, de répondre à deux questions pour ce qui concerne la traduction en français de la littérature italienne.
1. Êtes-vous d’accord avec ce constat ou vous paraît-il manquer certains aspects importants de la situation ?
2. Dans votre pratique de la traduction littéraire, utilisez-vous encore le passé simple, notamment quand la langue d’origine le pratique (selon sa logique propre) ? Ne craignez-vous pas l’impression d’archaïsme ou à l’inverse craignez-vous que suivre trop facilement la langue parlée aujourd’hui prive le texte littéraire d’une certaine subtilité et de certaines nuances ?
Le passé simple est un temps “pratique” pour le récit car il utilise un mot au lieu de deux, et ce essentiellement à la troisième personne du singulier et du pluriel, les autres personnes étant effectivement devenues rares. S’il disparaît de la littérature française de fiction aujourd’hui, c’est peut-être pour deux raisons: l’augmentation de l’autofiction, le passé simple à la première personne étant effectivement anachronique, et le manque de connaissance de la conjugaison tant par ceux qui écrivent que par ceux qui lisent.
En tant qu’auteur de fictions, je l’utilise, ainsi que le subjonctif imparfait du reste, mais ce n’est pas systématique. Ça dépend du texte et je continuerai à utiliser ces deux temps quand ma nécessité d’auteur le trouvera impérieux.
Pour ce qui est de la littérature italienne, la situation est très particulière car le passé simple est encore abondamment utilisé, dans certaines régions en tout cas, dans la langue parlée. Ce qui fait que tant les auteurs que les lecteurs se doivent de connaître la conjugaison du passé simple à toutes les personnes. Et qu’il n’est pas rare de le trouver dans des dialogues ou dans l’autofiction. Aujourd’hui, les traducteurs qui le savent (et ils ne le savent pas tous car tous ne traduisent pas en connaissant grandement les particularités linguistiques italiennes) évitent à juste titre de traduire systématiquement le passé simple italien par un passé simple français.
Mon attitude vis-à-vis du passé simple (et, soit dit encore en passant, vis-à-vis du subjonctif imparfait) en tant que traducteur de l’italien et en tant qu’auteur de textes littéraires français découle donc de critères qui ne sont pas nécessairement “interpénétrables” Et, en résumé, je verrais d’un très mauvais œil la disparition, voire une espèce de boycottage, du passé simple dans le milieu de l’édition littéraire française d’oeuvres originales ou de traductions.
Jean-Pierre Pisetta
Jean-Pierre Pisetta a enseigné la traduction, section russe-italien-français à l’Institut supérieur de traducteurs et interprètes de Bruxelles, et a traduit de nombreuse oeuvres italiennes (Gianni Vattimo, Edmondo de Amicis, Leonardo Sciascia, Francesco Jovine). Il est aussi l’auteur de plusieurs oeuvres de fiction.
A suivre… La rédaction
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