S’il y a bien un mystère dans la vie politique française, c’est la médiocrité des scores électoraux des partis écologistes, sous les différents noms qu’ils ont pris depuis quinze ans. La pollution, le réchauffement climatique et le recul de la biodiversité auraient dû conduire à des succès nombreux, et à ce que se constituent autour d’eux des groupes fidèles de militants, de sympathisants et d’électeurs. Rien de cela ne s’est produit, et aux présidentielles comme aux législatives, l’échec et le demi-succès ont été la norme. Tout au plus faut-il mentionner, ces derniers temps, l’élection de maires écologistes dans plusieurs grandes villes, mais il est encore tôt pour savoir si leur gestion municipale sera concluante et si les électeurs les reconduiront.
Les causes qui n’en sont pas
On ne doit pas en chercher la cause dans le fait que ces partis, au lieu de dépasser les divisions traditionnelles, ont choisi de se positionner à gauche, ayant depuis Antoine Waechter refusé de donner à leur cause une dimension transpartisane. C’était inévitable : quand l’on conteste le jeu de l’économie de marché et qu’on veut la réformer par des décisions politiques, ce que le socialisme a fait à sa façon autrefois, on est de gauche de façon naturelle, logique. On n’imagine pas une écologie de droite, libérale1, sauf à dire que les mesures d’urgence appelées par le réchauffement climatique et que tout gouvernement de gauche ou de droite peut décider suffisent à définir la cause écologiste.
On ne doit pas en chercher la cause non plus dans la complaisance des écologistes français pour certaines revendications venues des milieux islamistes. Il s’agit d’un épiphénomène, d’une situation qui doit beaucoup au clientélisme et encore plus à l’immaturité des dirigeants de cette mouvance. Il est bien ridicule de promouvoir l’éco-féminisme comme nouvelle théorie politique tout en appelant à plus de tolérance pour le burkini et autres revendications du même tonneau2. Faiblesse des hommes et des femmes dirigeant le mouvement, guère sensibles à la logique3, plutôt que vraie cause des faiblesses de l’écologie politique.
Quant aux querelles de personnes, elles sont évidentes, délétères, mais on ne voit pas qu’elles soient plus importantes chez les écologistes que dans les autres partis politiques.
Comment mûrir ?
Il faut risquer une hypothèse. La cause pourrait bien venir de l’impossibilité à faire mûrir les convictions originelles, celles qui poussent les jeunes gens à rejoindre l’écologie et motivent les militants, non pas seulement pour les rendre plus acceptables par les électeurs, mais tout simplement pour leur donner une profondeur dont elles manquent depuis l’origine, prises comme elles le sont dans une protestation brute qui ne remet rien en perspective – ce qui est le lot de toutes les idées nouvelles.
De la même façon que la gauche moderne a dû abandonner le communisme et son égalitarisme hostile au capitalisme industriel pour concevoir ce qui sera la social-démocratie, l’écologie moderne en France ne pourra naître que lorsque elle dépassera son hostilité à l’économie de marché, et qu’elle l’englobera dans une conception plus riche qui reconnaîtra ce qu’elle a permis : la hausse phénoménale du niveau de vie depuis au moins 150 ans (et encore en Chine récemment), la protection contre les maladies, et l’alimentation d’une population qui a crû énormément. Ceci a relevé de l’évidence pour des générations, mais ce n’est jamais entré dans le logiciel des écologistes français. L’électeur le sent bien. Il s’agit moins d’une préférence pour la radicalité que d’un imaginaire consubstantiel à la cause, qui mêle Rousseau et le Gébé de L’an 01, et qui la rend si facile à tourner en ridicule.
Avec Marx, de façon paradoxale4, puis avec ses héritiers allemands et français, Bernstein et Jaurès, la gauche a admis que le communisme5, n’était pas une solution viable, et qu’il fallait un modus vivendi avec les intérêts industriels et les classes sociales qui les incarnent. Au lieu d’espérer l’égalité communiste après l’effondrement du capitalisme, cette gauche a choisi la synthèse et les réformes pour assurer le partage des gains de productivité…
C’est cette mue que les écologistes en France ne parviennent pas à faire. Pour eux, la nature sera sauvée quand le capitalisme industriel, prédateur, se sera effondré, soit parce qu’il se sera heurté aux limites physiques de la croissance, à l’épuisement des ressources naturelles, soit dans une version spiritualiste parce que les populations se détourneront de la consommation et opteront pour un mode de vie moins matérialiste, plus frugal – deux scénarios dont on ne voit pas les prémices.
Les électeurs comprennent fort bien, spécialement dans les classes populaires, imperméables aux thèses écologistes, que l’hostilité traditionnelle des écologistes à l’industrie, qui a trouvé aujourd’hui une nouvelle dignité dans la théorie de la décroissance, se traduirait forcément par des mesures néfastes au niveau de vie de la population. L’évidence du réchauffement climatique, les dégâts de la pollution, de fait ce n’est pas suffisant pour que la majorité des électeurs vote en masse pour des mesures qui relèvent du bon vieux malthusianisme – au demeurant, on voit que l’éco-anxiété des jeunes générations d’écologistes les conduit à refuser de faire des enfants, comme si la démographie de Malthus restait encore dans les esprits. Avec un fond malthusien, on ne gagne pas les élections.
Faut-il que les écologistes chantent les louanges de l’industrie, de la déforestation et de l’ouverture de nouvelles mines ? Ce serait évidemment idiot. Il s’agit pour l’écologie de concevoir, mais selon ses propres grilles conceptuelles, ce que l’industrie et la « transformation de la nature », désormais diabolisée, apportent à la vie collective en niveau de vie, santé et progrès social. On ne peut pas vouloir le passage en bio de toute l’agriculture française, le refus des pesticides et des engrais sans réfléchir aussi aux conditions dans lesquelles il est possible de nourrir la population française d’abord, mais aussi d’exporter vers les pays dépourvus de ressources agricoles ; ce qui implique de donner un cadre rénové, intelligent à l’agriculture industrielle au lieu de la présenter comme une malédiction pour la nature. Que les écologistes aient réussi à se mettre à dos presque toute la ruralité reste un grand mystère. Dans le même ordre d’idée, l’hostilité bien connue, historique des écologistes français à l’énergie nucléaire a probablement été calamiteuse pour la lutte contre le réchauffement climatique en Europe. La réticence enfin des écologistes devant le progrès scientifique et ce qu’ils veulent appeler le « techno-solutionnisme » n’augurent rien de bon, et en tout cas, elle les condamne à la marginalité électorale.
Les sociaux-démocrates avaient reconnu l’efficacité de l’économie de marché et de l’industrie pour le progrès social, et ensuite ils avaient imaginé, par des mesures de nature politique et administrative, les moyens d’en corriger la brutalité et les inégalités – par les nationalisations, par l’impôt, par la politique industrielle et le « dialogue social »… Renonçant à la radicalité rhétorique, les sociaux-démocrates firent, dès la fin du XIXème siècle, le pari de l’efficacité économique et de la réforme progressive. Mais en Allemagne puis en France, il fallut du temps et un travail intellectuel incessant.
Aujourd’hui que la social-démocratie a épuisé sa mission historique, c’est à l’écologie de proposer des nouvelles voies de réforme, la crise écologique n’étant pas un slogan mais une réalité inquiétante. Or en France au moins, nous sommes très loin du moment où un parti écologiste sera conceptuellement en mesure de proposer aux intérêts industriels et aux groupes sociaux peu convaincus par les impératifs de frugalité un dialogue qui ne relevera pas de l’accusation et du moralisme, ni de la tactique, mais du renouveau de la doctrine, et qui sera une synthèse réaliste des intérêts en présence – un dialogue qu’on pourrait aussi appeler « compromis historique ». Il est bien dommage qu’en France, l’écologie ait de nombreux prophètes de malheur mais qu’elle n’ait pas encore trouvé son Jaurès.
Serge Soudray
Notes
↑1 | Le pilotage du marché par les prix, mesure d’essence libérale, ce n’est pas à la mesure de la crise écologique, le constat est maintenant partagé. |
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↑2 | Et ne parlons pas des droits des LGBT auxquels les écologistes se disent attachés mais qui sont vomis par les islamistes invités aux congrès écologistes. |
↑3 | il faut ajouter que le recrutement des cadres au sein de la gauche radicale, et dans la mouvance écologiste en particulier, illustre la baisse du niveau scolaire en France à partir des années 1990. Le gauchisme des années 60-70 avait intellectuellement une autre allure. |
↑4 | Malin, Marx renvoyait le communisme, cette revendication d’ordre moral, à une période ultérieure qui suivrait le socialisme… |
↑5 | Aspiration qui préexiste au capitalisme et qui correspond à une demande d’égalité spontanée, puissante – voir Durkheim. |