Colette et le cinéma

Nadia Trétaigne – On sait que Colette connaissait bien et aimait les milieux du théâtre et du music-hall. On sait moins qu’elle eut une relation privilégiée avec le cinéma qui naissait à l’époque de ses débuts en littérature, en 1900.  Vous racontez qu’elle aime sincèrement le cinéma, qu’elle ne le méprise pas comme d’autres écrivains de son temps, mais aussi qu’elle participe à la « fabrication » des films et à leur promotion commerciale du temps du cinéma muet, puis du cinéma parlant.

Paola Palma – Il me semble important de souligner cette ouverture intellectuelle de Colette vis-à-vis du cinéma, parce que cela montre, une fois de plus, sa modernité, sa capacité à envisager et comprendre l’évolution des médias et des formes spectaculaires de son temps. De plus, quelqu’un comme elle, qui pratiquait le théâtre et le music-hall – en tant qu’actrice, mime et critique – aurait pu se montrer plus réticente devant l’arrivée du cinématographe puis du cinéma, sans compter que l’intelligentsia de son temps ne cachait pas son mépris de l’écran. Au contraire, elle a eu l’intuition du potentiel artistique du cinéma, en même temps que d’une industrie culturelle naissante destinée à façonner l’imaginaire collectif et à entrer dans le quotidien des gens.

De nombreux romans de Colette furent adaptés au cinéma muet ou parlant, et avec succès, comme s’ils correspondaient aux nouvelles préoccupations de l’époque. Ces films correspondaient-ils à une plus grande sensibilité aux attentes féminines ?

Il faut d’abord rappeler que toutes les adaptations cinématographiques des romans et récits de Colette n’ont pas été des blockbusters ! Par exemple, si La Vagabonde de 1918 a eu une certaine visibilité, notamment grâce à la présence de Musidora dans le rôle de la protagoniste, la version parlante de 1931 n’a pas rencontré un très grand succès, et Divine, en 1935, malgré la mise en scène de Max Ophuls et la collaboration de Colette au scénario, fut un véritable échec commercial. En 1950, le Chéri de Pierre Billon est attaqué par la critique (le film, non pas le roman de « Madame Colette », remarquons-le) justement parce que le décor Belle Époque de l’histoire semble avoir mal vieilli. Et, au contraire, les relations de femmes avec des amants plus jeunes avaient créé, à l’écran, un certain malaise et embarras. En 2009, Chéri de Stephen Frears, par contre, a montré à quel point le sujet de ces romans était actuel… Ce n’est pas un mauvais résultat pour quelqu’un qui, en 2023, aurait eu 150 ans, et qui venait d’une autre époque.

Là ou l’univers littéraire de Colette – ses représentations de personnages féminins anti-conventionnels et proto-féministes – et l’écran semblent avoir connu une véritable synergie, l’écrivaine vivante, ce sont deux films tournés par Jacqueline Audry en 1949 et 1950, avec l’extraordinaire Danièle Delorme dans les rôles titres : Gigi et Minne, l’ingénue libertine.   

Dès 1914, elle est aussi critique de films (films de fiction et films documentaires), dans la presse grand public et dans la presse professionnelle, dites-vous. Elle accorde beaucoup d’attention aux acteurs (Mae West…) et aux techniques du cinéma qui se perfectionnent.

Colette, en tant que critique de cinéma, a vu arriver les films parlants et la couleur, et elle a voulu s’exprimer sur ces nouveautés techniques dont, après une méfiance initiale, elle a compris l’importance esthétique et artistique que cela pouvait représenter. Pour ce qui est du film documentaire, elle en a mis en valeur le potentiel didactique et pédagogique parmi les premiers, tout en racontant l’émerveillement des publics (surtout des enfants) devant le regard inédit que la caméra portait sur la nature. Elle a toujours eu une très grande sensibilité et attention envers les acteurs des films (vedettes et figurants), et surtout vers la spécificité du jeu d’acteur au cinéma. Ses articles consacrés à Charles Boyer, Bette Davis, Marlene Dietrich, Simone Simon et sa préférée, oui, Mae West, sont encore aujourd’hui d’une lucidité et d’une acuité incroyables. 

Vous racontez aussi qu’elle eut au moins une relation privilégiée, des affinités profondes avec un cinéaste resté célèbre, Max Ophuls, alors que beaucoup d’autres cinéastes ont disparu des mémoires et des écrans.

Paola Palma

Malgré l’échec commercial, Divine est un film qui mérite d’être redécouvert. Il montre en effet qu’il y avait une proximité entre la vision de Colette et celle d’Ophuls, notamment sur le monde du spectacle et sur les relations hommes-femmes. Divine est un film très ophulsien, par sa forme et par son contenu, mais ce dernier vient largement de Colette, et le réalisateur a pu et su aller à sa rencontre. Par exemple, la représentation de la « violence » que peut constituer le fait de monter sur scène et de s’exposer au regard du public, ou l’image mitigée des bienfaits du mariage sont des éléments que les deux artistes partagent.

Et Colette elle-même au cinéma, sur l’écran ?

Le documentaire Colette, tournée par Yannick Bellon au début des années 1950, peu avant la disparition de l’écrivaine, est le seul film « interprété » par Colette. Elle y joue son propre personnage, mais il vrai aussi qu’il s’agit, précisément, d’un personnage, celui de Colette, qu’elle a bâti et promu au fil des années, à travers ses déclarations, ses postures, ses « scandales », et à travers ce film. La confiance et l’aise dont elle fait preuve devant la caméra sont d’autant plus touchantes qu’elle ne cache pas son amusement. Colette avait par ailleurs été filmée en 1933 pour présenter un film de Jacques de Baroncelli, Gitanes. Cette présentation de quelques minutes précédait la projection, en guise d’introduction. Encore une fois, elle interprétait son propre « rôle ». Mais il est vrai que, si elle est beaucoup montée sur scène, être actrice de cinéma ne faisait pas – à ma connaissance – partie de ses ambitions.

Propos recueillis par Nadia Trétaigne

Paola Palma est maîtresse de conférences en études cinématographiques à l’université de Caen Normandie. Spécialiste des relations entre le cinéma et les autres arts, elle a publié plusieurs livres et articles sur Colette, ainsi que la traduction en italien de ses écrits sur le cinéma.

A lire : Paola Palma, Colette et le cinéma, Editions Quidam, coll. “Le cinéma des poètes”, 2023 (12 EUR)

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