En cette fin d’année, Contreligne vous livre son palmarès des meilleurs albums parus en 2022. Quatre catégories instrumentales (piano, orchestre, musique vocale, musique de chambre) et quatre époques (baroque, classique, romantique, contemporain) ont été retenues. Pour se faire plaisir ou pour offrir à Noël, nos lecteurs y trouveront leur bonheur à coup sûr.
Piano
Bertrand Chamayou
Olivier Messiaen, Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus – Paru en juin 2022 chez Erato
Fresque mystique géante composée en 1944 par Olivier Messiaen, les Vingt Regards sur l’Enfant Jésus devront être écoutés un 25 décembre. Bertrand Chamayou nous livre une version de maturité, qui met en valeur l’écriture virtuose du compositeur et son travail sur les leitmotivs. Il s’agit de l’un des meilleurs enregistrements de l’œuvre maîtresse pour piano d’Olivier Messiaen, malheureusement trop peu jouée. Le pianiste parvient à faire ressortir tous les contrastes de cette partition monumentale avec brio : la sérénité du numéro 1, le Regard du Père, s’oppose à la puissance du numéro 6, Par Lui tout a été fait. Comme toujours, la musique de Bertrand Chamayou repose sur un parfait équilibre entre sensibilité, technique et analyse du langage musical.
Orchestre
Herbert Blomstedt & Gewandhausorchester Leipzig
Johannes Brahms
Symphonies nos. 3 & 4
Paru en avril 2022 chez PentaTone
A 94 ans, le chef suédois poursuit son travail avec le Gewandhausorchester Leipzig dont il fut le directeur musical pendant 6 ans. Cet album clôt le cycle des quatre symphonies de Brahms chez PentaTone, initié en 2020. Si le premier opus nous avait déçus, celui-ci est une franche réussite. Le son d’abord : l’orchestre offre une palette de couleurs remarquable et une teinte chaude qui convient parfaitement à la musique de Brahms. La précision ensuite : le chef fait ressortir toutes les subtilités du langage du maître. Les deux dernières symphonies de Brahms, c’est aussi une succession de tubes : qui n’a jamais entendu le 3ème mouvement de la 3ème symphonie ou le 1er mouvement de la 4ème ? De toute évidence, cet album est une nouvelle référence dans la musique du compositeur viennois.
Musique de chambre
Quatuor Modigliani
Franz Schubert, Intégrale des quatuors à cordes – Paru en janvier 2022 chez Mirare
Les quatuors à cordes occupent une place importante dans la jeunesse de Schubert. Du premier opus composé à 13 ans en 1810 – il a déjà composé 5 quatuors avant l’âge de quinze ans – jusqu’au 15ème quatuor composé en 1826 deux ans avant sa mort, Schubert aura écrit en moyenne un quatuor par an. Contrairement à ce que voudrait l’usage, les Modigliani proposent une intégrale organisée par thème plutôt qu’en ordre chronologique, brossant ainsi un portrait du compositeur tantôt brillant, tantôt obscur ou encore mélancolique. Au fil des numéros, jamais ne baisse la qualité. Amaury Coeytaux et Loïc Rio (violons), Laurent Marfaing (alto) et François Kieffer (violoncelle) parviennent à donner une unité à l’œuvre de Schubert qui nous fait appréhender ce répertoire comme un grand cycle. Impressionnant !
Musique vocale
La Compagnia del Madrigale
Carlo Gesualdo, Premier Livre de Madrigaux à 5 voix – Paru en mars 2022 chez Glossa
Les lecteurs assidus connaissent déjà La Compagnia del Madrigale dont l’album Lagrimae D’Amante a fait l’objet d’une chronique en juin 2022. Avec ce nouvel opus, les chanteurs terminent un projet initié il y a plus de 20 ans : l’enregistrement des six livres de madrigaux de Carlo Gesualdo. Achevé à 28 ans au printemps 1594, le Premier livre de madrigaux est composé par un jeune artiste, loin du compositeur expérimental que deviendra Gesualdo à partir de 1600. Pourtant, sa musique est claire, sans faille et très efficace, et les madrigalistes savent mettre en valeur sa riche polyphonie, pleine de pureté et de douceur. La qualité vocale, l’intensité expressive et la souplesse des mélismes font de cette interprétation un album remarquable.
Baroque
Lucile Boulanger
Carl Friedrich Abel & Johann Sebastian Bach, Œuvres et transcriptions pour viole de gambe seule – Paru en janvier 2022 chez Alpha
Qualifiée par BBC Music Magazine de « Jacqueline du Pré de la viole de gambe », Lucile Boulanger met ici en lumière la filiation entre le maître Jean-Sébastien Bach et son élève violiste Carl Friedrich Abel. Même si nous savons que Bach n’a jamais composé pour la viole de gambe, il transcrivait toutefois souvent ses œuvres pour plusieurs instruments. Lucile Boulanger s’inscrit dans cette tradition en faisant entendre à la viole de gambe certaines grandes pages du Cantor de Leipzig écrite à l’origine pour violoncelle, clavier, luth ou violon et en les mettant en regard avec des pièces de Carl Friedrich Abel. Pour son premier opus solo, Lucile Boulanger livre une interprétation riche d’émotion et de justesse. Il ne reste qu’à espérer que cet album soit le premier d’une longue série.
Classique
Leif Ove Andsnes & Mahler Chamber Orchestra
Wolfgang Amadeus Mozart
Concerto pour Piano no. 23 en La majeur, K. 488, Quatuor avec Piano no. 2 en Mi bémol majeur, K. 493, Rondo en Ré majeur, K.485, Trio avec Piano en Si bémol majeur, K. 502
Concerto pour Piano no. 24 en Do mineur, K. 491 – Paru en avril 2022 chez Sony Classical
Après la parution de Mozart Momentum 1785, le public attendait avec impatience que Leif Ove Andsnes poursuive son projet en s’intéressant à l’année 1786 dans la vie du compositeur. Le pianiste norvégien s’associe de nouveau avec le Mahler Chamber Orchestra pour faire la démonstration du génie créatif de Mozart. Comme toujours, la performance de l’orchestre nous séduit grâce à un son chatoyant et un très bel équilibre. Année remarquable qui a vu une série de chefs-d’œuvre extraordinaires réinventer la nature du concerto pour piano et ouvrir la voie à Beethoven et à ses successeur, 1786 est aussi une année riche de musique de chambre. Leif Ove Andsnes et ses confrères s’illustrent aussi bien dans ce répertoire, pour le plus grand bonheur de nos oreilles.
Romantique
Stéphane Degout, Raphaël Pichon & Ensemble Pygmalion
Franz Schubert, Robert Schumann, Carl Maria von Weber
Mein Traum, morceaux choisis – Paru en octobre 2022 chez Harmonia Mundi
Inspiré par un texte que Schubert écrivit un matin de 1822, Raphaël Pichon a élaboré ce programme comme une odyssée musicale à travers le romantisme allemand entre solitude, mélancolie et recueillement. Il accompagne le baryton Stéphane Degout avec son ensemble Pygmalion, désormais reconnu sur la scène française et à l’international. La direction est souple, la musique douce et profonde à la fois, et le chef développe un discours musical subtil tout au long de l’album. Stéphane Degout quant à lui, conserve une diction claire malgré la profondeur de son timbre. Le baryton fait sensation dans le lied Der Doppelgänger orchestré par Liszt ! On y découvre aussi quelques perles rares comme le chœur du deuxième acte de l’oratorio inachevé de Schubert, Lazarus. A ne surtout pas manquer !
Contemporain
Paavo Järvi & Tonhalle-Orchester Zürich
John Adams
Slonimsky’s Earbox , My Father Knew Charles Ives
Tromba Lontana, Lollapalooza – Paru en septembre 2022 chez Alpha
Nous terminons ce palmarès avec un très bel album qui met à l’honneur le compositeur John Adams (né en 1947). En résidence dans la ville de Zürich, Adams a assisté aux séances d’enregistrement durant lesquelles il a pu conseiller le chef Paavo Järvi et l’Orchestre de la Tonhalle de Zürich. Loin de la musique « répétitive » auquel il est souvent associé, John Adams propose quatre pièces : Slonimsky’s Earbox, My Father Knew Charles Ives, Tromba Lontana (celle-ci étant plus représentative du langage « répétitif » du compositeur) et l’énergique Lollapalooza. L’orchestre joue avec vigueur et déploie une palette de couleurs flamboyantes. Le chef estonien mène la danse et nous emporte dans un tourbillon musical couronné par le rythme saccadé de Lollapalooza. Une véritable bouffée d’air frais !
Charles Civatte
En page de Une : “Le flûtiste Michel de La Barre entouré de deux des frères Hotteterre et du violiste Antoine Forqueray”, vers 1710, André Bouys (1656-1740)