Du clavecin (chronique musicale)

Contreligne inaugure aujourd’hui sa chronique musicale, qui mettra en parallèle un point de l’actualité musicale, ici un très bel enregistrement du claveciniste Jean Rondeau, et un fait, un événement plus anciens qui se répondent malgré les années.

Jean Rondeau n’arrête pas de nous surprendre. Né en 1991, ancien élève de Blandine Verlet et Premier Prix du Concours International de Clavecin de Bruges en 2012 à 21 ans seulement, il incarne aujourd’hui la nouvelle génération de musiciens français qui donne un nouveau souffle à la musique classique. En mai dernier, le prodige du clavecin enrichissait sa discographie d’un nouvel album, publié sur le label Erato. Intitulé « Melancholy Grace », ce disque présente un recueil de pièces diverses, écrites entre la fin de la Renaissance et le milieu du XVIIème siècle par des compositeurs italiens, allemands, anglais ou hollandais. On y retrouve donc Luigi Rossi, John Bull, Orlando Gibbons, Giovanni Picchi, Girolamo Frescobaldi ou encore John Dowland1.

Dans son dernier opus, Jean Rondeau nous fait ainsi traverser un siècle et demi de musique au cours d’un voyage empreint de mélancolie. Après plusieurs albums consacrés à Jean-Philippe Rameau, Jean-Sébastien Bach et Domenico Scarlatti2, le claveciniste continue d’explorer le répertoire baroque mais publie cette fois un disque plus personnel regroupant des pièces qui ont marqué son apprentissage de la musique.  A l’écoute, on est frappé par la grâce de son jeu et par les émotions qui en ressortent. Pour y parvenir, le claveciniste a notamment utilisé deux instruments différents, dont on distingue facilement les personnalités. Leurs timbres s’opposent et se complètent, tels deux chanteurs qui dialogueraient ensemble. Le premier, une réplique moderne d’un clavecin du XVIIIème siècle, a un jeu clair et précis. Le second, un virginal italien datant de 1575, nous transporte immédiatement à l’ère de la Renaissance italienne tant son timbre est caractéristique de cette époque. Avec cet opus, Jean Rondeau nous livre un album intime dans lequel il nous dévoile sa personnalité. Qui ne serait touché par son jeu et par la qualité du répertoire abordé ? Ces deux points en font un album de grande qualité. Magnifique, une fois de plus.

Pour faire écho à ce disque, il faut explorer le répertoire du clavecin en (ré)écoutant celui qui en a été le maître incontesté. Lors d’un récital donné en 2003 au château de Flawinne en Belgique — le dernier qu’il a enregistré — Gustav Leonhardt nous livrait une sélection de pièces de clavecin des compositeurs Antoine et Jean-Baptiste Forqueray3.  Jouant sur un instrument contemporain des pièces de musique données au concert, Gustav Leonhardt est alors au faîte de son art. La comparaison avec Jean Rondeau est frappante : sans la fougue de la jeunesse qui caractérise le premier, les années d’expérience de Gustav Leonhardt s’expriment dans l’infinie maîtrise de son instrument. Publié en 2005 sur le label EMR, l’album a été réédité par Diapason depuis. A écouter sans modération !

 

Charles Civatte

Charles Civatte, après des études de sciences politiques et de musique, est un jeune musicologue français

Notes

Notes
1Luigi Rossi (1597-1653), John Bull (c.1562-1628), Orlando Gibbons (1583-1625), Giovanni Picchi (1571-1643), Girolamo Frescobaldi (1583-1643), John Dowland (1562-1626)
2Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Jean-Sébastien Bach (1685-1750), Domenico Scarlatti (1685-1757)
3Antoine Forqueray (1671-1745), Jean-Baptiste Forqueray (1699-1782)
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