De quoi Sully est-il le nom ?

Sully est un film attachant, remarquablement construit et mis en scène. Les comédiens sont excellents et l’on vibre pour l’histoire de Chesley B. Sullenberger III, ce pilote de US Airways en fin de carrière qui réussit un amerrissage d’urgence sur l’Hudson, en janvier 2009. Il devient instantanément un héros, qui fait oublier aux New Yorkais les attentats du 11 septembre 2001, le film le souligne. Il doit néanmoins convaincre l’administration du transport aérien que c’était bien la seule chose à faire, et qu’il était impossible de retourner se poser sur une piste d’aéroport. Le film est brillant, adroit, et la critique l’a apprécié à juste titre.

Sa dimension morale, politique mérite quelques commentaires.

C’est d’abord un film civique et même patriotique, qui montre le peuple américain comme il veut se donner à voir et veut se comprendre : une collectivité différenciée, unie par le talent, le sens de la solidarité et le courage, qui sait produire un héros modeste, un membre honorable de la middle class qui ne laisse pas tomber le groupe dont il a la charge, un héros qui sait tout ce qu’il doit à son copilote et à ses hôtesses.  En ce sens, Sully a les mêmes qualités et célèbre les mêmes vertus que le guerrier Band of Brothers des années 2000, créé dans le climat qui a suivi le 11-septembre par Steven Spielberg et Tom Hanks justement, Hanks que l’on retrouve dans le rôle de Sully.

Le film met en cause l’administration des transports aériens, le National Transportation Safety Board, incapable de comprendre la réalité de la situation et prisonnier d’intérêts économiques. La charge est dans la droite ligne des convictions républicaines, bien à droite de Client Eastwood : le gouvernement est le problème ! Contre cette bureaucratie, le pilote finit par l’emporter dans une grande scène quasi-judiciaire, brillamment mise en scène.  Il semble que Clint Eastwood ait artificiellement noirci le tableau et que l’aviation civile américaine n’ait pas été aussi obtuse qu’il le dise (voir ici).

On ne remarque pas assez que l’histoire de Sully, telle que Clint Eastwood veut la raconter, c’est aussi un plaidoyer et une mise en valeur de l’homme blanc de plus de 50 ans, expérimenté et conscient de ses responsabilités, l’homme  sur lequel la société peut légitimement se reposer ; un père de famille qui a été pilote de chasse avant de passer dans l’aviation commerciale ; un homme qui sait réagir au danger, et qui va dîner de steaks avec son copilote, pas de quinoa ou de kale (choix qu’on approuve : la cause des carnivores doit être défendue). Au fond, Sully, comme Clint Eastwood veut le représenter, procède de cette même vague qui vient de donner à Donald Trump la présidence des Etats-Unis, cette vague qui veut réhabiliter la virilité blanche traditionnelle. En politique, on voit le résultat ! Cette histoire de pilote de l’air, la profession peut-être la plus étroitement associée à la virilité moderne et qui inscrit en elle la notion de responsabilité1, lui donne l’occasion de faire revivre un mythe.

Si le film, profondément républicain, est cependant  regardable mais aussi remarquable, c’est que cette entreprise de réhabilitation s’incarne dans des personnages bien composés, humains, à commencer par le Sully de Tom Hanks. C’est aussi parce que Clint Eastwood élimine de sa représentation de la maturité masculine tout ce qui déplait dans la droite américaine : le racisme, la misogynie, l’homophobie. La collectivité humaine dont Sully se fait le gardien, c’est l’Amérique dans sa diversité ethnique et sociale. On se dit aussi, pure spéculation, que le style Village People du co-pilote lui permet d’inclure les gays dans sa collectivité.

Aux Etats-Unis, le film a été attaqué sur le terrain politique, effet collatéral de la  rage justifiée qui a entouré l’élection de Donald Trump2. Clint Eastwood ne procède cependant pas à la défense haineuse, par la fiction, d’un groupe ethnique qui se croit attaqué, déprécié ; il fait revivre une mythologie honorable. Et c’est bien mieux !

Stéphan Alamowitch 

Sully, film américain de Clint Eastwood avec Tom Hanks, Aaron Eckhart, Laura Linney (1 h 35). Sur le Web : www.warnerbros.fr/?q=sully et www.sully-movie.com/#home

Notes

Notes
1En littérature, Saint-Exupéry, Boris Polevoï…et James Salter encore récemment.
2Dans Slate.com notamment, Sully Is the Perfect Fantasy for Our Post-Fact Era.
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