Pourquoi Valls doit démissionner (et annoncer sa candidature)

Le lancement de la campagne de France par le petit colonel Macron est, à gauche, le vrai événement de ce premier semestre. Elle signifie qu’une partie des élites gouvernementales s’est convaincue que François Hollande, malgré ses efforts désespérés pour paraître crédible, ne se représentera pas, et qu’il faut prendre position pour le moment où la vraie compétition sera ouverte1.

It’s the economy stupid, disait Clinton

François Hollande s’agite comme il peut pour se donner la gravitas d’un candidat à la présidentielle de 2017. Les ministres loyalistes sont rassemblés en séminaire. Des plumes amies, tel Dominique Villemot, font savoir que la situation économique s’est assainie, avec de bons résultats budgétaires, une meilleure compétitivité des entreprises et un train de réformes de modernisation. Moscovici fait un communiqué… Las, le chômage reste à un niveau qui témoigne de l’affaiblissement de l’économie nationale et du fait que la très petite croissance, qui vient d’ailleurs en partie de facteurs exogènes, ne créera pas d’emplois en nombre suffisant. Les réformes sont vidées de leur potentiel par une majorité parlementaire et des grèves qui les contestent au nom de la lutte contre l’ultra-libéralisme. Le gouvernement n’a plus de vraie majorité au parlement. Comment François Hollande peut-il imaginer qu’il aura assez d’électeurs pour lui assurer une présence au second tour de 2017 ? On oubliera les réformes mal conçues, telle la réforme de la finance en 2013 ou la régionalisation sans amaigrissement de l’Etat, mais l’échec économique à ce point, le chômage à ce niveau ne sont pas acceptables par le pays. Dans quelle classe sociale, dans quel milieu, le vote François Hollande pourrait-il être  majoritaire ? Au mieux les enseignants gratifiés de la prime de 800 euros. Alors au niveau du pays….!  It’s the economy stupid, disait Clinton.

Gageons que la raison viendra au président au milieu de l’automne, peut-être avant, et qu’il renoncera à une candidature dont le pays ne veut pas. Il préférera rester le président d’une tentative de modernisation du corpus socialiste, en avance sur son temps (allèguera-t-il), plutôt que le président qui n’aura pas réussi à figurer au second tour, en triste héritier de Jospin. Dans la Vème République, comme partout, le pouvoir tend à isoler ; il ne permet pas de s’affranchir du bon sens.

Essai de politique-fiction

Gageons aussi qu’un président qui ne se représente pas voudra contrôler qui, dans son camp, prétend lui succéder. François Hollande cherchera à sélectionner un candidat qui lui permette de “décentrer” le débat au sein de la gauche et le débat avec la droite. Il cherchera aussi un candidat qui maintienne un semblant d’unité socialiste. En tant qu’institution d’ailleurs, le Parti socialiste se souciera d’abord de ce qui préserve son unité, quand bien même le choix ne serait pas de nature à donner une majorité. François Hollande saura entendre cette préférence.

On l’imagine bien promouvoir Anne Hidalgo, qui a le bonheur d’être une femme et d’être maire de Paris. Son positionnement lui permettrait de maintenir ensemble les deux gauches qui sont en train de se séparer sur les thèmes, au demeurant non congruents, de la réforme économique et de la laïcité. Sur ces questions, les points de vue du Maire de Paris sont ceux de l’aile gauche du Parti socialiste, celle qui ne veut pas de la politique menée et qui ne mesure ni l’affaiblissement économique du pays ni la crise culturelle qu’il traverse, la gauche du Tax & Spend, sans originalité ni brio. Mais son nom pourrait fédérer nombre des pôles qui font la gauche aujourd’hui, ceux qui ont Manuel Valls pour ennemi commun.  Son passé d’inspectrice du travail passera pour un brevet de la vraie foi.

Ce faisant, François Hollande aura vite la masse du parti socialiste derrière lui, et on parie que Médiapart et la gauche radicale finiront par lui trouver toutes les qualités. L’enjeu alors, ce ne sera pas le résultat de la présidentielle, jouée, pliée, mais le leadership  dans la recomposition de la gauche après 2017.

Faisons un pari : c’est en novembre, quand Hillary Clinton aura été élue, que François Hollande annoncera la candidature d’Anne Hidalgo.

Macron et Valls au piège du hollandisme

Un président qui prétend occuper le terrain, qui admet tardivement qu’il a perdu toute pertinence, mais qui entend choisir le candidat aux présidentielles…

C’est pour échapper à ce piège de fabrication hollandaise que Macron s’est mis en avant au mépris des loyautés anciennes, mais non sans logique, ni sens de l’a-propos. Il sait que si le scénario est bien celui qui est décrit ici, il n’ a aucune chance de peser sur la stratégie socialiste à venir ; le PS ne l’aime pas – d’où la rupture qui s’annonce.

Son pari peut-il réussir ? Comme il est dépourvu d’enracinement politique, de relais dans les classes sociales et les milieux qui feront l’élection, son échec est probable. L’appel boy-scout à la jeunesse et le soutien des Gracques ou de Terra Nova, cela compte pour quasiment rien. Sur le fond, son ni gauche ni droite fait de lui un nouveau Jean-Jacques Servan-Schreiber, l’homme de la modernisation sans substance et qui a connu le sort que l’on sait2, ou peut-être une réincarnation de Lecanuet. Ce style n’a jamais gagné une seule élection nationale depuis 1958.

La comparaison avec la présidentielle de 1974 est erronée. Giscard d’Estaing était un libéral bien enraciné à droite, qui pensait que la France voulait être gouvernée au centre. Macron est un homme du centre, c’est à dire de nulle part, qui prétend que la France veut être gouvernée à droite, à coup de réformes libérales et de scientisme numérique. La comparaison avec la campagne menée par Barack Obama en 2008, qui le voit battre la candidate de l’establishment démocrate, est elle-aussi utilisée à mauvais escient. Le sénateur Obama, par sa seule personne, par son intelligence hors-norme, annonçait un changement de substance. Macron est, dans l’opinion et à juste titre, cet énarque au passé de banquier qui croit que l’uberisation sauvera la société3.

Ce n’est pas à la mesure de la situation : le débat Droite-Gauche, dont l’intensité est proportionnelle à la crise qui frappe les classes moyennes (ce qu’illustrent en ce moment les Primaires américaines) reste plus structurant que jamais. Il est en France plus complexe à résoudre qu’ailleurs, compte tenu que les camps politiques se sont cristallisés sur un modèle dépassé, du fait en particulier du retard intellectuel de la gauche de gouvernement. Or une candidature Macron relèvera du registre banal de la réforme libérale, ce qui est défendable à certains égards mais insuffisant. La question des inégalités nées du capitalisme financiarisé, la question de l’autorité à laquelle aspire une partie des classes populaires et celle de l’identité culturelle de la nation sont entremêlées dans une magma dangereux, méphitique ; et  il ne donne pas l’impression d’en avoir pris la mesure. Le peut-il seulement ? Le seul espoir sérieux de Macron est que François Hollande ne convainque pas le Maire de Paris de se proposer à l’échec électoral, et qu’il apparaisse alors à la gauche old school comme la seule solution anti-Valls.

Il serait, dans ce contexte, heureux que Manuel Valls adopte publiquement la même stratégie de rupture. Malgré beaucoup de maladresses4, Valls a un enracinement politique et social et une maturité sur les questions qui travaillent le pays qu’on ne connaît pas à l’uberophile Macron.

Mais voila : il lui faudrait d’abord démissionner du poste de Premier ministre, se déclarer candidat, et  prendre le champ qui lui permettrait de concevoir un proposition politique nouvelle.  En l’état, son équation est intenable. Déconsidéré pour son association avec François Hollande, concurrencé par un Macron sur le terrain de la modernisation économique, vilipendé par la gauche radicale parce qu’il en a percé les vices et qu’il lui promet le renvoi aux marges, Valls doit aujourd’hui surjouer ce qui est censé le différencier. C’est pourtant le moment où il faudrait mettre en évidence un cours autonome, une force qui va, selon la vieille expression. C’est maintenant qu’il faut imaginer un projet de Gauche fédérant au delà de la géographie habituelle de la gauche, un projet qui réordonne les concepts et les priorités5. Ce n’est pas sur le bilan de François Hollande qu’il peut s’imaginer faire campagne.

En finir avec le Tax & Spend, qui n’a jamais réussi à faire baisser le chômage, remodeler le droit social sérieusement, réhabiliter l’Ecole républicaine au lieu de masquer la dégradation derrière la misérable réforme du collège, mettre en place l’intégration sincère des minorités reléguées hors du bloc central de la société, rassurer un pays désorienté… Voilà beaucoup de chantiers à ouvrir et de réflexions à mener, et c’est toute une base sociale et politique à constituer. Il ne peut en être question tant que l’on est encore Premier ministre d’un président  déchu et aveuglé.

La politique-fiction est un exercice difficile, qui expose au risque du ridicule. Malheureusement, c”est le seul plaisir qui demeure quand on envisage la situation politique du pays.

Stéphan Alamowitch et Serge Soudray

Notes

Notes
1Arnaud Montebourg vient d’ailleurs d’annoncer ce 8 mai qu’il saurait prendre ses responsabilités.
2Servan-Schreiber s’était illustré par un Défi américain (1967): la réforme du pays par l’importation du management et de la productivité américaine. Macron se limite à un Défi californien qui a exactement les mêmes arguments.
3Un homme qui aime Jeanne d’Arc mérite la sympathie, pas forcément qu’on lui reconnaisse le sens de l’histoire.
4Sa déclaration d’amour pour l’entreprise, naïve et un peu bête, son incapacité à saisir ce que la déchéance de nationalité avait d’inacceptable, qui lui a donné l’allure de l’exécutant des basses-œuvres du hollandisme…
5Il est ainsi essentiel et remarquable qu’il ait tenu à associer son nom à celui de l’écrivain Kamel Daoud, mais cela doit s’accompagner d’autre chose s’il faut lutter contre l’islamo-gauchisme de la gauche Mediapart, contre les tentations séparatistes d’une partie des minorités non européennes, et contre la préférence des classes populaires pour le Front national.
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