Musulmans : débats intimes, devoirs civiques ?

Comment ne pas comprendre l’irritation ou la colère des français de confession musulmane 1 quand ils leur est demandé, plus ou moins clairement, de se désolidariser des terroristes de Charlie Hebdo et de Vincennes ? Pourquoi devraient-ils se désolidariser de terroristes en lesquels ils ne se reconnaissent évidemment pas, dont, comme tout le monde, ils condamnent les actes et les pensées ? N’est-ce pas les assigner à résidence, les emprisonner dans une identité collective au mépris de tous les principes libéraux ? N’est-ce pas au fond du racisme que de les sommer de se prononcer publiquement ? La situation est certainement difficile à vivre (exemple ici ).

C’est évident, incontestable, certes ; mais il est en même temps insuffisant de se contenter de ce principe libéral, l’autonomie de la personne, pour écarter toute dimension collective.

Le terrorisme est islamique, c’est un fait. Il procède d’un fonds culturel propre au monde musulman, comme le fascisant A. Breivik procédait de la culture propre à l’extrême-droite européenne : thèmes, vocabulaire, détestations, …  Il procède en particulier d’un rejet des valeurs de la démocratie qui est virulent dans certains secteurs du monde arabo-musulman : hostilité à la liberté de conscience, à la liberté d’expression, aux droits des femmes, antisémitisme, etc. ll est imbécile de soutenir qu’il s’agit d’une révolte sociale qui cinquante ans plus tôt se serait réclamée de l’extrême-gauche. C’est se voiler la face.

Mais surtout, ce terrorisme témoigne d’un combat interne au monde arabo-musulman, et la ligne de front passe au sein de ce monde, avec d’un coté le terrorisme et son terreau le fondamentalisme musulman et, de l’autre, les valeurs démocratiques souhaitées par de larges fractions de l’opinion arabo-musulmane, en Europe comme à Alger ou à Tunis.  C’est au sein de l’islam que parait se livrer aujourd’hui un combat pour l’hégémonie culturelle, et si le terrorisme est une arme dans ce combat, son enjeu, c’est bien d’abord la masse des croyants. D’où la hargne des terroristes contre ces musulmans qui portent un uniforme de militaire ou de policier français ; d’où leur souci de capter une jeunesse désorientée, ré-islamisée,  en majorité issue des couches défavorisées de l’immigration et qui ne se ressent pas comme française.

Entravé par un relativisme bienveillant qui a rendu aveugle, inhibé, le reste de la société ne parvient pas à atteindre cette fraction de la population qui se fige dans le rigorisme religieux – et de toute façon, elle n’en serait pas écoutée.

Dérive et mobilisation

ll ne saurait exister aucune injonction.  Chacun fait ce qu’il veut ou ce qu’il peut.  Mais face à la dérive de certaines fractions de la population de confession musulmane, plus grave et plus profonde qu’on ne voulait bien le dire (à preuve tous ces incidents rapportés lors de la minute de silence dans les écoles, ces trois mille tweets qui dit-on ont été signalés pour apologie du terrorisme), il serait heureux que tous ceux qui ont un mandat juridique ou moral, serait-il auto-décerné, ou une influence dans cette population jouent un rôle.   On veut penser que dans un groupe humain, ceux qui ont le plus de ressources culturelles ont un devoir envers ceux qui n’en possèdent pas – et le profil des Djihadistes français montre bien qu’ils sont dépourvus de ces ressources. Laisser l’Etat, l’Education nationale en particulier, seul face à un groupe en état de sécession culturelle, c’est aussi probablement se condamner à l’échec. Dans ce combat qui est aussi interne au monde arabo-musulman, rappelons-le encore, tout doit être employé pour renforcer le camp de la démocratie et discréditer ce Djihad qui fascine trop de jeunes esprits immatures, déréglés.  Le mouvement Not in my Name est par exemple bienvenu, non pour le signal lancé à la société dans son ensemble, mais pour le message qu’il envoie dans les couches de confession musulmane. C’est ce genre de message qu’il faut multiplier.

Refuser de s’engager quand on le peut, et ce n’est certes pas forcément possible pour tous, c’est se protéger derrière un individualisme bien égoïste. C’est être moins courageux que ces féministes, ces journalistes ou ces avocats tunisiens qui ont contré les manoeuvres du parti islamique, et finit par gagner les élections présidentielles. Eux ont su installer au centre de leur société des valeurs démocratiques et les rendre majoritaires, aidés en cela par l’incompétence des islamistes. On voudrait qu’un même effort ait lieu en France. L’écart entre les valeurs républicaines et celles qui prévalent dans certains secteurs de l’opinion musulmane est devenu trop grand.

On connait malheureusement bien maintenant tous les incidents qui attestent cette dérive des valeurs, et les arguments qui les ont sous-tendus :
– on n’a pas le droit de traiter ainsi notre religion, …
– les gens de Charlie Hebdo, ils l’ont un peu cherché, ils avaient été prévenus, …
– on en fait trop pour ces dix-sept morts, et personne ne s’est ému des morts de Gaza, …
– il y a deux poids, deux mesures pour les religions, les juifs eux sont privilégiés
2,
– on protège Charlie Hebdo mais on censure Dieudonné, …
– l’islam est stigmatisé et personne ne protège les mosquées, ….

C’est contre ces arguments tendancieux qu’il faut mobiliser quiconque ne se satisfait pas de la situation actuelle.

C’est un devoir pour quiconque a une certaine idée de la décence de ne pas tolérer de réflexions racistes. C’est aussi un devoir pour ceux qui pratiquent la religion musulmane et qui sont de plain-pied dans le monde moderne de ne pas être indifférents à ces propos viciés.

Serge Soudray

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Notes

Notes
1“français de confession musulmane”, “population arabo-musulmane”, “opinion musulmane”, “couches”, “communauté”, on peut critiquer l’imprécision de ces termes, les déconstruire ! Mais aujourd’hui  précisément, ce ne serait pas aider au débat.
2 On se demande bien en quoi !
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