Calim’héros, le super rebelle

“Pas de promo, aucun journal. Cela pourrait nuire à notre image. C’est beaucoup trop commercial.

Surtout très peu d’ambition. Pas question d’une éventuelle évolution pour qu’on m’accuse de trahison

Ah non ! De l’underground je suis le champion.”

Reste underground – IAM – 1993

On reconnaît le rebelle aux attitudes suivantes : il condamne beaucoup, il ne propose rien,  ni nouveau modèle de société ni petite amélioration.

En bref , le rebelle n’est pas réformiste. Être réformiste suppose d’accepter le système dominant. Et – avec celui-ci – le rebelle considère qu’une seule interaction est acceptable : la confrontation.  Les autres modes sont inacceptables car ils supposent une collaboration avec l’ennemi. L’ennemi étant le monde tel qu’il est organisé aujourd’hui.

Le rebelle n’est pas révolutionnaire. Être révolutionnaire suppose un projet post révolutionnaire soit la réponse à la question «Qu’est ce qu’on fait une fois qu’on a tout cassé ?». Et de projet post révolutionnaire, le rebelle n’en a pas sous la main. Mais alors, mais alors… qui est Calim’héros ?

«Loin des jouisseurs qui traînent leur ennui, loin de ceux dont les mains ont trempé dans le sang, emmène-moi vers l’asile de ceux qui se sacrifient à la noble cause de l’Amour», écrivait Nikolaï Nekrassov – Ceux qui ont la vie belle en Russie – 1865.

Astérix, Gaulois et premier des rebelles

Astérix était un rebelle, un vrai. Dans le monde d’Astérix, le système dominant était l’Empire Romain. Et nul ne pouvait reprocher aux villageois d’Armorique de ne pas lutter jour après jour contre l’Empire romain.  Affecté dans l’un des camps voisins du village d’Armorique, le légionnaire romain pouvait en témoigner : le principal mode d’interaction des Gaulois d’Armorique avec l’Empire Romain était la confrontation.  Mais quelles étaient les ambitions Astérix ? Cherchait-il à changer le système dominant ?

Parcourons les albums. En Belgique, les Gaulois vont se battre pour… prouver qu’ils sont plus braves que leurs voisins belges.  En Espagne, en Angleterre, en Corse, ils limitent leur intervention au maintien du statut de trois autres villages d’irréductibles résistants. En bref, et l’auteur a eu le plaisir de passer en revue chacun des albums, dans aucune de ses aventures, Astérix ne cherche à influer sur le système en place. Il ne cherche en fait que deux choses : prouver que son village ne fait pas partie du système dominant, qu’il fait partie des irréductibles, et maintenir ce statut ou celui de ses équivalents européens.

Cette ligne de conduite d’un personnage de bande dessinée est moins anecdotique qu’il ne pourrait paraître. Tout le génie des scénarii de Goscinny puis d’Uderzo ayant été de refléter fidèlement un mode de vie et de pensée politique infiniment français : de l’importance d’être rebelle…

Car le rebelle a son monde à lui…

«C’est pas juste, c’est pas juste, c’est pas juste, C’est juste que c’est vraiment pas juste que c’est pas juste, Je suis Calim-héros» (Dionysos – Soon, on your radio – 1998).

Le rebelle est infiniment plus ouvert d’esprit qu’un président américain, car son monde à lui est composé de trois camps.

Le camp du mal

Ici sont rassemblés les entreprises multinationales, les gouvernements occidentaux, les institutions financières internationales, les gros bonnets, les libéraux, les néo-libéraux, TF1, le Figaro et Michel Sardou.  Ce camp du mal représente l’ennemi juré de Super rebelle : le complot de gros bonnets. Et l’ennemi de super rebell, c’est le complot de gros bonnets. Le Super méchant de Super rebelle, le voilà : Un complot de gros bonnets qui dirige le monde. En bref “les élites” (aka le camp du mal) se réunissant régulièrement pour décider du sort du monde.  Le seul problème est que cet ennemi n’existe pas.

Les gros bonnets existent, eux. Nous n’avons pas tous le même pouvoir d’action sur la société. Et des gros bonnets se rassemblent parfois à Davos ou ailleurs de façon formelle ou informelle pour influer des situations. Mais les gros bonnets, quand ils se regroupent, ont pour caractéristique de se rejoindre uniquement sur des objectifs précis. Il n’existe pas un complot mais des milliers ! Des complots, des regroupements visant à imposer une organisation de l’économie, de la religion ou autre. Des complots pour des intérêts particuliers… et des complots pour l’intérêt général.

Dans le vrai monde, deux dirigeants d’entreprises multinationales vont s’entendre sur l’abrogation d’une directive européenne mais être en désaccord sur une initiative du Congrès américain. La situation est la même pour l’Europe et les Etats Unis à l’OMC… voire même pour un restaurateur kabyle et un aveyronnais : ils vont être d’accord sur la baisse de la taxe sur la restauration mais pas forcément sur le reste de la politique nationale et internationale.

Le résultat : Il n’y pas une direction du monde mais des acteurs poussant dans des milliers de directions. Et c’est précisément la meilleure des raisons de se mobiliser. Car dans un monde dont l’évolution est le résultat de milliers de vecteurs… une simple action peut en déclencher beaucoup d’autres.

Le camp du bien

Le camp du bien intègre les «peuples du monde», catégorie créée pour l’occasion regroupant les victimes, toutes les victimes. Avec une préférence pour celles des «pays du Sud», mais à l’exclusion de celles arrivant à un certain stade de responsabilité. Pour être éligible, la victime prendra la peine d’éviter de dépasser son stade de victime. Le leader de guérilla ou de parti révolutionnaire d’opposition pourra représenter une exception à condition qu’il ait l’élégance de ne jamais arriver au pouvoir. Ce camp intègre également leur plus fidèle soutien moral : le rebelle lui-même

 Le camp de «ceux qui n’ont pas vu la lumière» (catégorie intermédiaire)

Hérault plus que berger, le rebelle s’étonne que la majorité silencieuse garde son silence devant ses appels fréquents à la rébellion. Car le rebelle informe. Il informe même beaucoup. Souvent il milite, pour mieux informer. Il fait de la «ci-to-yen-ne-té». Quand il crie sa révolte, quand il dit «Rejoignez mon combat !», il ne comprend pas que derrière la fausse indifférence se cache une seule réponse : «Mais de quel combat parlez-vous ?». Il ne comprend pas que ce qui mobilise n’est pas le constat de l’injustice (ce qui ne va pas) mais l’espoir de changement (ce qui ne va pas, comment peut-on le changer et on s’y met tout de suite).

Que veut le rebelle ?

Le rebelle ne supporte pas la situation actuelle… Il est très sincère dans sa tristesse contre les injustices d’un monde qui en compte beaucoup.  Il n’accepte pas un monde où un traitement contre le Sida existe et où 38 millions des 42 millions de personnes infectées ne sont pas soignées. Il n’accepte pas un monde où travailler 14 heures par jour devient le seul refuge contre la prostitution pour des enfants de 12 ans.  Ce en quoi il a entièrement raison.

Mais le rebelle ne croit pas que cette situation pourra changer :  «Le monde est dirigé par des gros bonnets», «Les autres sont égoïstes, aveuglés par le mirage de la société de consommation», «Rien ne changera». Ce en quoi il a infiniment tort.… Alors il boude. Il a choisi la stratégie politique conçue par Ponce Pilate, celle des mains propres. «Puisque ce monde ne changera pas, personne au moins ne pourra m’accuser d’en avoir été complice».  La seule véritable ambition du rebelle est de faire partie du village des irréductibles.

Jean-Philippe Teboul

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