Parti socialiste français et Parti démocrate américain

Question sensible en vérité que celle de la comparaison entre Parti socialiste français et Parti démocrate américain. Aucune comparaison n’est véritablement neutre, mais celle-ci, et au-delà des histoires très différenciées des deux partis, est révélatrice d’un certain nombre d’impensés du socialisme français, on serait tenté de dire de tabous. La difficulté est encore aggravée par le fait que lorsque l’on s’intéresse à l’évolution du Parti socialiste français, il faut toujours distinguer ce qu’il dit et ce qu’il fait. Cette difficulté n’est pas propre au Parti socialiste français mais on doit constater que sur le plan des idées, le PS français a toujours voulu se différencier des expériences des partis frères, qu’elles soient hier de facture social-démocrate ou aujourd’hui social-libérale.

Fondamentalement, ce qui continue aujourd’hui de différencier les deux partis c’est bien le rapport au libéralisme. Les démocrates se réfèrent à une tradition libérale qui n’a cessé d’évoluer, d’où le fait que le terme « libéral » n’a pas les mêmes significations politiques en France et aux Etats-Unis. Pour les socialistes français, le libéralisme n’est acceptable que dans ses volets politique et culturel. Il est absolument condamnable et impraticable pour ce qui concerne son volet économique, et la référence constante à Adam Smith, plus cité que lu d’ailleurs, fait office de repoussoir idéologique. On comprend, dès lors, que le rapport au libéralisme commande le positionnement idéologique par rapport à l’économie de marché, car si dans les faits les socialistes sont devenus incontestablement réalistes, du point de vue des idées la pratique effective de la gestion de l’économie n’a jamais vraiment fait l’objet d’une redéfinition en profondeur de la pensée socialiste en la matière.

Labour Party et Parti démocrate

De ce point de vue, une comparaison entre le Labour Party et le Parti démocrate eut été plus aisée tant les deux partis ont subi au même moment une évolution idéologique similaire marquée par un recentrage et l’abandon progressif du paradigme Welfarien. L’objectif pour les deux partis était le même : reconquérir les classes moyennes qui avaient supporté, dans les années 80, les révolutions conservatrices menées par Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Curieusement, les expériences économiques des différents gouvernements socialistes n’ont pas débouché sur une redéfinition idéologique, comme si celles-ci n’étaient pas vraiment assumées. Dans un article d’une grande lucidité1, Michel Rocard soulignait qu’après le tournant de la rigueur, François Mitterrand ne s’intéressa plus à l’économie, laissant une grande liberté de manœuvre aux différents ministres de l’économie qui se sont succédé. Pourtant, et bien que la comparaison avec le Parti démocrate vaut souvent quasiment insulte (on se souvient que pour Jean-Pierre Chevènement, qualifier la deuxième gauche de gauche américaine était loin d’être un compliment), le Parti démocrate a su mener des expériences économiques, somme toute, plus originales et quelques fois plus « progressistes » que celles men ées par le Parti socialiste français.

Sur le plan des idées, il est donc clair que le Parti socialiste français reste très éloigné du Parti démocrate tel que recentré par Clinton et les new démocrats et rien ne permet de dire qu’Obama a rompu avec ce repositionnement effectué dans les années 902.

Enfin, et malgré les dénis de la plupart des responsables et penseurs socialistes3, le Parti socialiste est certainement aujourd’hui plus démocrate que républicain.

Le difficile rapport au libéralisme

S’il existe assurément, comme l’a montré Jacques Julliard dans son ouvrage sur les gauches françaises4, une gauche libérale et que celle-ci a été marquée par l’individualisme et la séparation des pouvoirs, il n’en demeure pas moins et comme le souligne le même auteur, qu’après 1848, les aspirations collectives et correctives prennent le dessus reléguant l’épanouissement individuel et le problème de la séparation des pouvoirs au second plan. Si les hommes politiques de la troisième république restent marqués par ces références, l’évolution vers le marxisme de la mouvance socialiste vers la fin du XIXème siècle éloigne toujours plus les différents mouvements socialistes de la référence libérale.

Très vite, le libéralisme est appréhendé au travers de son seul volet économique, et les références citées restent toujours étrangement les mêmes. Alors même qu’au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, le libéralisme ne cesse de se renouveler, il reste en France inconnu et très souvent caricaturé5.

Pour les socialistes français, il existe une forme de  libéralisme acceptable,  le politique (qui contient le culturel), et une forme absolument inacceptable : le libéralisme économique6.

Il faut suivre Jean-Claude Michéa7 peut écrire « mais sur le plan économique le PS – et la social-démocratie dans son ensemble – reste anti-libéral ». Zaki Laïdi dans son intervention montre que cette position n’est tout simplement pas tenable et souligne à juste titre que la dynamique culturelle du libéralisme n’est pas déconnectée de sa logique marchande. Pour lui, la social-démocratie gagnerait beaucoup à s’approprier certaines idées libérales comme l’autonomie sociale par exemple.

Plus grave, le libéralisme économique n’est souvent appréhendé qu’au travers d’un seul ouvrage : celui d’Adam Smith sur la richesse des nations. L’évolution postérieure du libéralisme économique autour, notamment, du New Liberalism est peu connue. On aimerait rappeler aux socialistes que Keynes n’a jamais renié le libéralisme[11. Voir son ouvrage La pauvreté dans l’abondance, Gallimard, 2002.], ce qui démontre qu’en matière économique le libéralisme n’est pas une doctrine figée. De ce point de vue, l’émergence à la fin des années 70 de ce qu’il convient d’appeler “néolibéralisme” a permis aux socialistes de clore le débat. Il leur était facile de montrer que le libéralisme était la matrice fondamentale du nouveau capitalisme financier qui s’impose à partir de ces années. Dans cette perspective, la condamnation du néolibéralisme est devenue le moyen obligé du positionnement victorieux au sein du Parti socialiste – néolibéralisme que l’on associe au libéralisme.

Cette confusion très utile d’un point de vue idéologique produit des effets pervers redoutables : d’une part et au-delà du discours convenu, elle ne permet de se positionner que sur un mode négatif, et d’autre part, en réduisant le libéralisme à des réalités caricaturées et très simplifiées, elle empêche toute confrontation idéologique en profondeur, notamment avec les nouveaux courants issus de la pensée libérale américaine[12. Pour une présentation synthétique de ces courants, Catherine Audard (2009) Qu’est-ce que le libéralisme? Ethique, politique, société, Folio essais.]. Un œuvre comme celle de John Rawls[13. Voir pour une bonne introduction Jean-Pierre Dupuy (2008), Les paradoxes de la « théorie de la justice », Introduction à l’œuvre de John Rawls, Esprit, p. 72 et s.] n’a, ainsi, pas suscité le débat qu’elle eut mérités. D’où l’extrême difficulté pour le Parti socialiste à se renouveler sur le plan des idées. La rhétorique est une chose ; la confrontation sérieuse des idées, une autre.

Des Pères fondateurs au Parti démocrate actuel

A la différence du Parti socialiste, le Parti démocrate s’est toujours situé idéologiquement dans la continuité du libéralisme. Du libéralisme des Pères fondateurs au “libéralisme social”, la continuité plus que la rupture[14. Dans son ouvrage Le libéralisme américain, histoire d’un détournement, Alain Laurent soutient la thèse de la rupture. S’il est certain que le libéralisme américain s’est « gauchisé », il faut aussi prendre en compte les éléments qui font par exemple que les expériences « progressistes » en matière économique restent, malgré des caractéristiques communes avec les expériences menées par les sociaux-démocrates, différentes, que cela concerne le rôle de l’Etat notamment (la nationalisation n’a jamais convaincu au Parti démocrate), la préférence pour des programmes ciblés et non des programmes « universels », une grande sensibilité à la nécessité des contre-pouvoirs et à l’autonomie individuelle. Sur le plan culturel, il est indéniable que les positions sont très proches de celles des socialistes européens, mais c’est vrai aussi de nombre de partis qualifiés de conservateurs !]a marqué l’identité idéologique du Parti démocrate[15. Sur la continuité qui n’exclut pas les changements en profondeur, l’éclairage intéressant d’Eric Alterman, Think again : how classical liberalism morphed into new deal liberalism, Center for American Center, 26.04.2012.], même si celui-ci a beaucoup évolué[16. Comme le souligne fort judicieusement Catherine Audard, du point de vue du nouveau libéralisme « la lutte contre les inégalités doit s’attaquer aux privilèges sociaux, de la naissance du capital transmis, et, au contraire valoriser l’effort personnel, le travail, le courage, la force de caractère : c’est le mythe libéral classique que nous retrouvons. Le « nouveau libéralisme est bien un libéralisme, pas une version libérale du socialisme » ouvrage cité, p.310.].

Le progressisme qui se structure intellectuellement au début du XXème se conçoit plus comme un approfondissement du libéralisme que comme une rupture proprement dite[17. Même un auteur comme Herbert Croly, s’il peut être très critique en revient souvent aux Pères fondateurs.]. Un critique actuel comme Chris Hedges[18. Chris Hedges (2012) La mort de l’élite progressiste, Futur proche.], dans son livre quelque peu pamphlétaire contre l’élite progressiste, situe le courant progressiste dans la continuité du libéralisme classique et en retrace rapidement une histoire qui montre comment celui-ci s’est historiquement renouvelé[19. Pour Hedges, le progressisme américain doit beaucoup au libéralisme classique. Il n’est pas certain du tout qu’un ouvrage de la même veine écrit par un progressiste « radical » européen établirait une même généalogie idéologique !]. De ce point de vue, la reprise des principes fondamentaux du libéralisme tels qu’établis par John Gray[20. John Gray (1995) Liberalism, Minneapolis, University of Minesota Press.] est instructive.  Pour Gray, le libéralisme classique se définit par quatre principes fondamentaux qui sont l’individualisme (primauté de l’individu sur la collectivité), l’égalitarisme (qui accorde à tout être humain le même statut moral essentiel), l’universalisme (qui postule l’unité morale de l’espèce) et le méliorisme (qui soutient qu’on peut grâce à la raison critique, améliorer la condition humaine de manière indéfinie)[21. Pour Gary Gerstle, autre exemple, le libéralisme (américain) se définit autour des trois principes fondateurs : l’émancipation, la rationalité et le progrès. Gerstle ajoute que ces principes seront réinterprétés tout au long de l’histoire américaine en fonction des contextes et des défis posés.  Emerge assez vite l’idée que l’émancipation est inséparable d’un certain type d’environnement où l’Etat doit jouer un rôle important (Gary Gerste, 2004,  The protean character of american liberalism, The american Historical review, Vol.99, n°4, p.1043-1076.].

Là où l’histoire politique française se construit sur l’idée de rupture, l’histoire politique américaine se construit dans la continuité, continuité qui n’empêche ni les remises en cause (le capitalisme américain de la fin du XIXème siècle fera l’objet de critiques virulentes) ni les aménagements doctrinaux d’envergure.  Cette réinterprétation peut s’effectuer dans un sens progressiste ou plus centriste, mais dans les deux cas ce sont souvent les mêmes principes qui sont réinterprétés. La prise en compte de demandes collectives n’a jamais remis en cause, si ce n’est dans des cercles très restreints, l’aspiration à l’émancipation individuelle, même si les modalités de cette émancipation ont pu considérablement varier.

Il serait facile d’expliquer cette longévité du libéralisme américain par le fait que le marxisme n’a eu qu’une audience très limitée, mais on peut aussi se demander, à l’inverse, si ce n’est pas la vitalité de la pensée libérale qui explique la diffusion limitée du marxisme. Le Parti démocrate, contrairement à beaucoup de partis socialistes européens, n’a jamais eu à se définir par rapport au marxisme. Il n’y a donc pas de “surmoi” marxiste au Parti démocrate. L’option réformiste a toujours été privilégiée avec une amplitude qui varie en fonction des contextes politico-économiques.

New Democrats, Welfare, Workfare

S’il est vrai que le terme « liberal » a, dans le monde-anglo-saxon, une tonalité plus à gauche qu’en Europe et peut-être associé à une vision assez proche de celle de la social-démocratie, il ne s’y réduit pas, et la remise en cause d’une certaine forme de welfarisme opéré par les new democrats et la promotion corrélative du workfare[22. Sur cette transition, Desmond King et Mark Wickham-Jones (1999) From Clinton to Blair: the democratic (party) origins of welfare to work, The Political quartely Publishing, p.62-74.] se fera aussi, pour une grande part, sur une réinterprétation des principes fondateurs du libéralisme et de l’articulation droits/responsabilités – et donc en dernier lieu de l’individu et de la société. Le rôle de l’Etat est redéfini[23. Cf. la déclaration «The new democrat credo » de 2001 du Democratic Leadership Council.] dans un sens, de notrepoint de vue,  plus en phase avec les principes d’un libéralisme classique revisité qu’avec ceux du libéralisme social. L’inflexion idéologique des années 90 ne doit pas être sous-estimée[24. Sur l’évolution idéologique récente du Parti démocrate, le livre instructif de Kenneth Baer (2000) Reinventing democrat’s : the politics of liberalism from Reagan to Clinton, Lawrence University Press of Kansas.].

Les nouveaux démocrates se veulent eux aussi “progressistes”, mais leur approche de l’Etat, leur insistance sur la responsabilité individuelle les éloignent du réformisme progressiste tel qu’issu notamment du New-Deal et qui domina l’après seconde guerre mondiale et d’une manière générale des politiques de facture sociale-démocrate.

Un radicalisme paradoxal

La comparaison entre Parti socialiste français et Parti démocrate américain débouche sur un paradoxe : le recours à des référents idéologiques plus radicaux tout au long de son histoire, de la part du Parti socialiste français, n’a pas, pour autant, débouché sur des expériences qui aient été à la hauteur des attentes doctrinales, et encore moins sur des politiques de profondes transformations sociales.

Certes, les contextes politiques et économiques ne sont pas les mêmes. Il reste que les présidences démocrates les plus marquantes comme celles de Wilson, Roosevelt, Kennedy, Clinton et Obama ont été capables de conduire des politiques novatrices qui tranchent avec le conformisme des politiques menées par la gauche française une fois au pouvoir.

C’est que la pensée politique américaine s’est constamment renouvelée en prenant en compte les transformations effectives de la société américaine et les nouvelles problématiques qui en émergeaient. L’action d’un Wilson a été ainsi précédée d’une réflexion sur les institutions, le rôle de l’Etat et la nécessité de refonder la politique sur de nouvelles bases. Si on a beaucoup insisté sur le côté expérimental du New Deal et d’une certaine manière son pragmatisme, il ne faut pas oublier que toute une réflexion intellectuelle et économique l’avait précédé. Roosevelt a pu de la sorte s’appuyer sur des personnes qui avaient réfléchi aux questions essentielles que posait la crise[25. On remarquera que Roosevelt fit appel à des hommes qui représentaient tout l’éventail du libéralisme de Morgenthau, Brandeis à Moley et Tugwell.]. On se souviendra que les tentatives révisionnistes échoueront en Europe ou n’auront que peu d’influence sur les grands partis socialistes, notamment en Allemagne et en France. Bernstein (avant la première guerre mondiale) et de Man (avant la seconde) ne parviendront pas à remettre en cause la doxa marxiste de ces partis[26. Pour un rapide aperçu sur les diverses tentatives révisionnistes, Christophe Sente (2013) Faut-il attendre une refondation de la social-démocratie ? Esprit, p.74-86.]. Les vues novatrices concernant le rôle de l’Etat et la nécessité d’associer les classes moyennes seront combattues et de fait marginalisées.

La distinction de Léon Blum entre occupation et exercice du pouvoir n’était en vérité que de peu d’utilité une fois que l’on accédait effectivement au pouvoir[27. Sur les rapports entre Blum et le capitalisme, voir le chapitre de Serge Bernstein : Léon Blum et le capitalisme, dans Le socialisme à l’épreuve du capitalisme (dir.Daniel Cohen et Alain Bergounioux), Fayard, 2012.]. Même si l’action du Front Populaire fut contrainte par l’alliance avec les radicaux, il n’en reste pas moins que du fait même de l’attachement à une certaine orthodoxie marxiste, Léon Blum s’interdisait d’agir en direction des classes moyennes fragilisées par la crise et la politique menée par son gouvernement. Considérer ces classes moyennes comme condamnées par l’évolution économique, ce qui était la vision marxisante  de l’époque, fut une erreur d’appréciation aux conséquences politiques majeures.

De la même façon, en 1981, les outils idéologiques du nouveau PS ne permettaient pas d’affronter le capitalisme rénové qui commençait à émerger – et il n’est pas sûr d’ailleurs que les “réalistes” de la Deuxième Gauche aient été beaucoup plus clairvoyants sur ce point. Enfin, on chercherait en vain en à partir de mai 2012, hors une certaine confusion, ce qui caractérise la politique économique actuelle.

De l’utilité de la triangulation

Le recentrage du Parti démocrate menée par Clinton et sa politique de triangulation ont fait l’objet de beaucoup de critiques. On oublie cependant que la stratégie pensée par le Democratic Leadership Council (DLC) tirait les conséquences des défaites des candidats démocrates et de l’épuisement du paradigme progressiste. Si la révolution conservatrice avait su séduire les classes moyennes, c’est notamment de par sa critique du welfare state et de ses excès.  Ces classes moyennes vont faire, par ailleurs, l’objet d’une investigation serrée où les implications politiques des changements intervenus sont clairement exprimées[28. Sur ce sujet, les différents travaux de S. Greenberg, notamment S. Greenberg (1990), Reconstructing the democratic vision, The American prospect, n°1, Spring, Middle class dreams, New Haven, Yale University Press et S. Greenberg et T. Skocpol (1996), The new majority, New Haven, Yale University Press.].  Comme au même moment avec Tony Blair à la tête du parti travailliste, les démocrates essaient de repenser la relation de l’individu à l’Etat en prenant en compte les profondes transformations de la société et de l’aspiration à une autonomie individuelle moins contrainte par les institutions.

C’est un des mérites de Clinton d’avoir compris avec Tony Blair, que dans le nouveau capitalisme, l’accès aux « biens stratégiques » fondamentaux (santé, éducation, …) et l’accent mis sur cet accès, et peu importe qu’il soit public ou privé, étaient plus réalistes que les vieux discours progressistes sur l’égalité[29. Dans ce que l’on pourrait appeler la « charte idéologique » des new democrats intitulée The new American choice resolutions, on peut lire « we believe the role of government is to guarantee equal opportunity not mandate equal outcomes ». Il faut lire ce document (et en général tous les documents issus du DLC) avec attention car il marque une inflexion importante par rapport à l’idéologie démocrate antérieure.]. Dans le cas britannique comme dans le cas américain, il y avait une volonté manifeste de comprendre la nature des transformations de la société. Il y avait aussi, dans les deux expériences menées, une volonté de “changer la vie” que l’on occulte trop souvent[30. Pour une présentation de la troisième voie, Laurent Bouvet (2003) Qu’est-ce que la troisième voie ? Retour sur un objet politique mal identifié, Le Débat, mars-avril, p.33-52.] On peut être dubitatif sur les résultats politiques d’un tel aggiornamento, mais la critique socialiste de la Troisième Voie et la distinction opérée par Lionel Jospin entre économie de marché et société de marché n’ont débouché sur aucune refondation idéologique, pas même d’inspiration républicaine[31. François Hollande qui a occupé le poste de premier secrétaire du Parti socialiste pendant plus d’une décennie n’a pas voulu (ou n’a pas pu ?) opérer une clarification idéologique comparable à celles menées en Allemagne et en Angleterre. Il est des moments où l’art de la synthèse ne conduit qu’à l’immobilisme. Le confusionnisme actuel tient beaucoup à ce manque de clarification. On a beaucoup de mal à situer idéologiquement l’action du gouvernement Ayrault. « L’équilibrisme » en politique est un exercice périlleux surtout en période de crise !] Le recours permanent au concept de modernité[32. Les socialistes ont beaucoup de mal à définir les contours de la modernité économique et sont plus à l’aise lorsqu’il s’agit d’en définir ses valeurs sociétales.] n’équivaut pas à une politique, et tient plus de la « langue de caoutchouc », selon l’expression de Jean-Pierre Le Goff[33. Jean-Pierre Le Goff (2011) La Gauche à l’épreuve, Tempus Essai, p.135.]. Il en va de même pour ce qui concerne la promotion idéologique de l’économie mixte.

Léthargie et localisme

Cette léthargie idéologique du Parti socialiste a beaucoup à voir avec les transformations qu’il a subies après 1981 et son « localisme ». Comme le souligne fort justement Frédéric Sawicki : “l’importance de l’horizon local des pratiques a aussi un dernier effet pervers : il conduit à un désinvestissement des activités programmatiques et doctrinales qui du coup sont sous-traitées à des experts et à des think tanks qui privilégient un traitement séquentiel des problèmes. On assiste alors une double dépolitisation par le bas et par le haut”[34. Fredéric Sawicki (2013) La force du localisme, Esprit, n°397, aout-septembre, p55.].  Les victoires de la Droite aux présidentielles, par contrecoup, ont permis aux socialistes d’accroitre leurs gains électoraux au niveau des collectivités locales, et cela n’a pas été sans conséquences sur la vie du parti. Comme l’écrivent Lefebvre et Sawicki[35. Rémy Lefebvre et Frédéric Sawicki (2006) La société des socialistes, Editions du croquant, p.19.], le Parti socialiste “est devenu principalement une entreprise de conquête de mandats électifs prêt à tout pour gagner ou conserver les postes de pouvoir à tous les niveaux…”. Dans ces circonstances, la réflexion idéologique n’est plus vraiment la priorité !

Quelle évolution ?

Dans une tribune libre, Zaki Laïdi[36. Au pouvoir les modernistes s’imposent, Le Monde, 24.10.2013.] peut écrire « les contradictions idéologiques au sein de la gauche n’ont jamais et ne seront probablement jamais tranchées idéologiquement. En revanche elles l’ont toujours été à la faveur de son accès au pouvoir. C’est toujours sur les marches du palais qu’elle s’est réformée ». Il est évident que la gauche confrontée à la crise en1982 a dû effectuer une révision radicale de sa politique. Ce fut la politique de rigueur. Laïdi met en avant trois périodes où la gauche a su mener des politiques de modernisation : 1984-1986, 1988-1992 et 1997-2002. Il est indéniable que, face aux réalités, la gauche a été obligée de repenser sa pratique économique.

On a beaucoup reproché à Clinton l’abrogation du Glass-Steagall Act en 1999 et donc de la séparation des activités bancaires, ce qui a incontestablement favorisé ce qu’il convient d’appeler la financiarisation de l’économie. Oublie-t-on que la gauche française l’avait fait dès 1984 et que c’est sous le ministère Bérégovoy que cette financiarisation de l’économie atteindra son paroxysme. De la même façon, si Clinton a beaucoup œuvré pour la ratification de l’Alena, les socialistes ont milité pour l’immersion de la France dans une Europe dont ils ne pouvaient ignorer qu’elle était très largement le produit d’une matrice libérale[37. Rawi Abdelal montre bien que la gauche ne s’est pas contentée d’une logique d’adaptation : elle a quelquefois, en matière de financiarisation, pris les devants. Il est curieux que les socialistes toujours si prompts à condamner les dérives néolibérales chez les autres aient été si silencieux sur ces réformes ! Rawy Abdelal, Le consensus de Paris : la France et les règles de la finance mondiale, Critique internationale, n°28, p.87-115.]

Pourtant, et au-delà d’une remise en cause minimaliste, les socialistes n’ont jamais vraiment théorisé à partir de ces expériences leur nouvelle vision de l’économie. Leur condamnation quasi-unanime du social-libéralisme est pourtant assez contradictoire avec les politiques qu’ils ont effectivement menées. Dire que l’on est devenu réaliste ou moderniste n’a aucun sens si l’on ne s’assigne pas des objectifs précis, un « cap » dirait-on aujourd’hui. Il a été fait beaucoup grief à Lionel Jospin d’avoir révélé en 2002 que son « projet » n’était pas socialiste. On s’est beaucoup moins posé la question sur le fait de savoir si sa politique l’avait été ! La réponse à cette question aurait conduit les socialistes à mieux définir les contours d’une politique économique de facture socialiste au-delà des incantations verbales et des inventions conceptuelles sans consistance.

Dans les faits, il est donc plus difficile de différencier les pratiques économiques menées par les socialistes français de celles menées par les démocrates aux Etats-Unis. Les différences tiennent plus à l’histoire qu’à une quelconque fracture idéologique. Le rôle assigné à l’Etat ne saurait constituer en soi une ligne de différenciation idéologique car, en la matière, que cela soit dans les idées ou dans les faits, les démocrates américains n’ont pas à souffrir de la comparaison avec les socialistes français. Mais à la différence des socialistes français, les démocrates américains comme les travaillistes britanniques, mettent l’accent sur l’articulation droits/responsabilités et les politiques qu’ils ont mises en œuvre, de ce point de vue, se différencient sensiblement de celles menées par les socialistes français. Le Workfare n’est toujours pas à l’ordre du jour du calendrier idéologique du PS.

Sur un plan politique, le Parti socialiste s’est aussi beaucoup rapproché du Parti démocrate. On sait qu’une des critiques récurrentes adressée au Parti démocrate par beaucoup de socialistes c’est de n’être qu’une machine électorale dont la seule finalité est celle de remporter les élections. Machine électorale qui fait passer les aspects idéologiques au second plan. Là aussi, le souci d’objectivité mène, d’une part, à relativiser ses critiques (le Parti démocrate de notre point de vue est plus réflexif que le PS français) et d’autre part, à s’interroger sur les transformations récentes du Parti socialiste.

Des auteurs comme Barboni[38. Thierry Barboni, (2010), thèse citée.] et Lefebvre et Sawicki[39. Remi Lefebvre et Frédéric Sawicki (2006), ouvrage cité]montrent bien que les enjeux de pouvoir ont pris le pas sur les enjeux idéologiques. Dans cette perspective, l’instauration des primaires reflète les profondes transformations du PS. Remy lefebvre, dans son petit ouvrage consacré aux primaires socialistes[40. Rémi Lefebvre (2011)  Les primaires socialistes : la fin du parti militant, Raisons d’agir.], révèle que cette technique électorale a pu être mise en place du fait même de l’épuisement du modèle du parti de militants. De repoussoir, le Parti démocrate en vint à servir de modèle, Martine Aubry envoyant aux Etats-Unis une délégation composée, entre autres, d’Olivier Ferrand et Arnaud Montebourg. Pour nombre des promoteurs des primaires, la victoire de Barack Obama n’avait été rendue possible que grâce à celles-ci. Elles apparaissaient, de la sorte, comme le moyen privilégié de la rénovation. Mais en même temps, les primaires avalisent la conception d’un parti-reflet de l’opinion qui avait été toujours combattue au PS. Avant l’instauration des primaires, on se souviendra que Royal s’était imposée en jouant l’opinion contre l’appareil du parti et que celui-ci s’était finalement rallié à sa candidature, ce qui montre que bien avant les primaires les processus visant à la désignation des candidats ne relevaient plus du seul parti. Pour Lefebvre du fait même de cette mutation le Parti socialiste est bien devenu « une entreprise politique tournée vers le marché électoral »[41. Rémi Lefebvre (2011)  ouvrage cité, p.152.], en d’autres termes : un parti cartel[42. Richard S. Katz et Peter Mair (1995) Changing models of party organization and party democraty, the emergence of the cartel party, Party Politics, Vol.1 (1) p.5-28.].

Convergences sociales et idéologiques ?

Il est intéressant de constater qu’après les défaites de Lionel Jospin en 2002 et celle de John Kerry en 2004, les mêmes critiques ont été adressées aux deux partis. Elles mettaient en lumière d’une part, le fait que ces deux partis s’étaient fermés aux catégories populaires, que l’élite dirigeante était souvent issue des milieux de la classe moyenne supérieure et diplômée et que d’autre part, le vote populaire, et notamment ouvrier, faisait de plus en plus défaut à ces deux partis : en d’autres termes, que ces deux partis devenaient de plus en plus élitistes et ne s’adressaient qu’à certaines catégories de la population.

Dans un passionnant ouvrage[43. Thomas Frank (2013) Pourquoi les ouvriers votent à droite, éléments, Agone, le titre original était What’s the matter with Kansas ? How conservatives won the heart of America.], Thomas Frank montre bien comment le Parti républicain a su profiter de cette évolution en arrivant à populariser la caricature de l’intellectuel démocrate, issu de la bonne bourgeoisie, amateur de latte, roulant en Volvo, méprisant les Américains moyens, plus occupés de réformes de mœurs que de pratique religieuse, …[44. De fait, qualifier quelqu’un de « liberal » aux Etats-unis est devenu une quasi-insulte. Le terme équivaut un peu  au « bobo » français. Hillary Clinton avait, en 2008, préféré se présenter comme progressiste !]. Pour être caricaturale, cette description n’en contenait pas moins une part de vérité, et Frank à la fin de son ouvrage met directement en cause l’évolution du parti, qu’il estime en partie responsable de cet état de fait.

Comme son homologue français, le Parti démocrate a donné l’impression de ne s’adresser qu’aux bénéficiaires de la nouvelle économie, de n’être que le parti des gens branchés, de ceux qui ne connaissent pas la crise et qui parlent plusieurs langues étrangères. On sait que cela sera beaucoup reproché à John Kerry, qui incarnait pour les républicains l’idéal-type « liberal », riche, cultivé, très au courant de la culture européenne et peu religieux. Il faut noter que cette évolution a beaucoup été critiquée à gauche, l’abandon du progressisme social étant vécu comme une trahison des valeurs du parti et de son histoire[45. Parmi une œuvre abondante, Christopher Lash (2006) La culture du narcissisme, Champs, Flammarion. Voir aussi sur ces critiques de gauche, l’article de Marie Boeton (2005) Etudes, n°4025, p.597-606.].  Il est encore trop tôt pour conclure à l’irréversibilité de cette évolution mais c’est une tendance lourde du Parti démocrate. Le pari de reconquête des classes moyennes a été, en partie, gagné ; il reste à voir, dans le temps, comment évoluera le vote ouvrier.

La défaite de 2002 a obligé le Parti socialiste à s’interroger sur les raisons profondes de sa défaite. Après avoir essayé de mettre en avant les causes secondes (les candidatures multiples), il a bien fallu admettre que la défection des catégories populaires venait de loin, que le parti n’était même plus représentatif des classes moyennes, qu’il était devenu un parti de « bobos » coupé des réalités quotidiennes vécues par les Français et pas seulement en matière de sécurité. Le Parti socialiste avait perdu le peuple[49. Sur la problématique du vote populaire, Laurent Baumel et François Kalfon (2011) (Dir) Plaidoyer pour une gauche populaire : la gauche face à ses électeurs, Le Bord De l’Eau.] et on s’interrogeait sur les véritables destinataires de sa politique[50. Daniel Cohen (2009) La gauche ne sait plus à qui elle s’adresse, Economie Politique, n°42, p.88-95.]. L’insistance du Parti socialiste à mettre en avant la modernité, sa promotion du libéralisme culturel tel qu’issu de 1968, son incapacité à vraiment penser les mutations industrielles, l’élite socialiste était convaincue que dans le monde post-industriel, l’industrie ne jouerait plus qu’un rôle marginal (méprise profonde que l’on ne finit pas de payer) l’éloignaient toujours plus des préoccupations des Français. Il est symptomatique que, durant la campagne de 2007, ce soit la Droite qui ait parlé du pouvoir d’achat. La tentation était forte de s’appuyer sur une nouvelle coalition majoritaire, et c’est ce que proposa Terra Nova en 2011[51. Quelle majorité électorale pour 2012 ? Terra Nova, 2011.]. Cette nouvelle coalition électorale que l’on voulait rendre majoritaire ressemblait beaucoup à celle du Parti démocrate, allant des diplômés aux minorités visibles. D’ailleurs, l’inspiration démocrate d’une telle stratégie n’est pas occultée. Le constat est simple : les ouvriers votent de moins en moins à gauche du fait de leur distanciation culturelle toujours croissante par rapport à celle-ci et le rapport à l’autorité est, pour les auteurs du rapport, un bon marqueur culturel. C’est donc le rapport à la culture qui détermine qui est de gauche et qui ne l’est pas.

Mais comme le note fort judicieusement Jacques Julliard dans son ouvrage sur les gauches françaises, qui détermine ces valeurs culturelles ?

Cette prédominance du facteur culturel et d’une culture très largement issue de mai 1968 est un des reproches adressés à la gauche  « moderniste ».  Là aussi, les critiques du « centre »[52. Cette évolution « sociétalement engagée » était aussi critiquée par les responsables du DLC.]» comme de droite adressées aux libérals américains soulignent ce fait : sous l’influence du libéralisme culturel, les démocrates se sont coupés des préoccupations des catégories populaires et de celles des classes moyennes. Les passions culturelles des libérals comme celles des socialistes apparaissent comme celles d’une élite plutôt privilégiée qui n’évolue pas dans le monde réel. Qualifier de réactionnaires des catégories entières sous prétexte qu’elles ne s’intéressent pas à la théorie du gender ou qu’elles ne communient pas dans la vison d’une société multiculturaliste est une évolution que l’on observe à la fois chez les élites socialistes et les élites démocrates. Le rapport Terra Nova était, pour certains, révélateur de la « prolophobie » du parti socialiste[53. Dans tous les cas, le terme « ouvrier » avait presque disparu du vocabulaire socialiste ce qui fit dire à Pierre Mauroy qu’ouvrier n’était pas un gros mot !]. Olivier Ferrand s’en défendit et il avait raison. Pour autant, on retrouvait dans ce rapport la méfiance d’une certaine gauche envers les catégories populaires toujours soupçonnées d’avoir des penchants autoritaires et d’être, par là même, rétives à la culture communément qualifiée de libérale-libertaire. D’où cette tentation de remplacer les fautifs par des catégories jugées plus dignes d’intérêt. Un journaliste du Nouvel Observateur a pu ainsi parler de « préférence immigrée » de la gauche[54. Hervé Algalarrondo (2011) La gauche et la préférence immigrée, Plon.].

Le multiculturalisme

Enfin, la dernière évolution qui rapproche toujours plus le Parti socialiste du Parti démocrate concerne le rapport au multiculturalisme[55. Cette question a été beaucoup débattue au Parti démocrate et des intellectuels comme Arthur Schlesinger jr, le théoricien du centre vital, y était assez opposé du moins dans sa vision « communautariste ». Voir son toujours actuel The disuniting of America, reflections on a multicultural society, WW.Norton & c, 1999.]. La montée en puissance du vote des minorités en faveur du Parti socialiste n’est sans doute pas étrangère à cette évolution, même si celle-ci ne s’y réduit pas.

Officiellement et avec une langue de bois assez stupéfiante, tous les leaders socialistes affirment que cette question a été tranchée, que le PS est un parti laïc qui reste attaché au modèle de la citoyenneté républicaine, mais dans les faits est-ce le cas ?

Il est symptomatique que les socialistes lorsqu’ils évoquent la nécessité de la “diversité” l’envisagent très souvent sous son seul angle ethnique, et rarement sous un angle social. Cette propension à caractériser les personnes et les problèmes par leur origine ethnique est une tendance lourde au Parti socialiste, et elle est parfaitement étrangère au modèle républicain. Il n’est pas certain que les élites socialistes soient hostiles, par exemple, à la discrimination positive. Pour des raisons électorales, elles préfèrent ne pas en parler.

Le multiculturalisme pose un véritable problème au Parti socialiste. Pour se défendre de cette tentation, les leaders socialistes invoquent la tradition républicaine ; mais au Parti socialiste, où sont les républicains, au sens où l’entend par exemple Régis Debray, peut-on se demander. Il existe des sensibilités qui s’en réclament, comme par exemple la Gauche Populaire, mais elles sont minoritaires. Du point de vue culturel, les socialistes français restent très proches des liberals américains et le rapport à l’autorité et à la nation du courant républicain fait souvent débat. Certaines figures intellectuelles de la gauche libérale française comme Bernard-Henri Levy soupçonnent toujours certains « leaders » républicains[56. Les attaques répétées de Bernard-Henri Lévy à l’encontre de Jean-Pierre Chevènement ne contribuent pas à l’instauration d’un débat d’idées fondé sur la confrontation argumentée et non sur les invectives. On peut ne pas être d’accord avec Jean-Pierre Chevènement mais force est de constater qu’il est un des rares hommes politiques avec Michel Rocard, que l’on peut qualifier d’intellectuel.] de Maurrassisme voire de tentation socialiste-nationale !  Des intellectuels français proches du Parti socialiste comme Michel Wieviorka[57. Michel Wieviorka Quand la gauche va-t-elle défendre le multiculturalisme? Rue 89, 12.02.2011.] en appellent à un multiculturalisme tempéré mais cette question reste sensible et comme souvent avec les socialistes, les affirmations de principe sont souvent contredites par les faits.

Jean-Claude Pacitto

Notes

Notes
1Michel Rocard (2011) Regards sur le mandat de François Mitterrand, Revue Socialiste, n°43, p.63-74.
2Sur la question du centrisme de Barack Obama, l’entretien de Pierre Melandri dans Le Monde du 31.10.2008.]. Sur le plan des faits, la réponse devient plus nuancée. Même si les socialistes français n’ont jamais théorisé la fin du Welfare State ou son aménagement, il n’en demeure pas moins que le réalisme, le pragmatisme et osons le dire, le libéralisme, ont caractérisé les expériences économiques menées par les différents gouvernements socialistes et la référence constante à la modernité est commune aux deux partis. De la même façon, les deux partis ont connu une évolution sociologique comparable. La caricature popularisée par les républicains d’un parti privilégiant les classes moyennes aisées et diplômées est loin d’être infondée.  De la même manière, la perte progressive de l’électorat populaire est une caractéristique commune aux deux partis. Il a souvent été reproché aux partis américains de n’être que des machines électorales. Là aussi, l’évolution du Parti socialiste français depuis les années 80 le rapproche beaucoup de son homologue démocrate, et s’il n’est pas un parti cartel, il est sans aucun doute un parti cartellisé[3. Sur cette question, Thierry Barboni, (2010) Les changements d’une organisation. Le Parti socialiste entre configuration partisane et cartellisation (1971-2007), thèse de science politique, Université Paris 1.
3Dire avec Alain Bergounioux que le PS a réglé cette question après les flottements des années 80 relève de l’auto-persuasion, Alain Bergounioux, Les socialistes et le peuple, Revue Socialiste n°45-46, p.133-136.], le multiculturalisme imprègne nombre de leurs discours. Dans cette perspective et si l’on suit la terminologie de Régis Debray[5. Régis Debray, Etes-vous démocrate ou républicain? Le Nouvel Observateur, 30 novembre 1989.
4Jacques Julliard (2012) Les gauches françaises, 1762-2012, Champs Flammarion.
5Sur le rejet du libéralisme par les intellectuels français et ses raisons profondes, Raymond Boudon (2004) Pourquoi les intellectuels français n’aiment pas le libéralisme, Odile Jacob.
6Chez les adhérents socialistes le rejet est tout aussi catégorique. 76% d’entre-eux considèrent que le libéralisme économique ne doit pas être une référence idéologique pour le PS, Claude Dargent Les adhérents socialistes : attitudes, valeurs et ancrages idéologiques, Revue Socialiste, n°42, 2011, p.135-142.
7Jean-Claude Michéa Les mystères de la gauche, Climats, p116-127.] et considérer cette catégorisation comme parfaitement superficielle.  Le libéralisme est certes complexe et évolutif mais opposer ses différentes facettes relève d’une profonde incompréhension de cette pensée. Henri Weber dans un débat sur ce thème organisé par la Revue Socialiste[10. Revue Socialiste, n°13, 2003.
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