Noël chez Hermès

Visite chez Hermès pour changer la pile d’une montre, la veille de Noël.

Le magasin est rempli de clients, d’un coté de riches arabes, des russes, des japonais ; de l’autre une moyenne bourgeoisie française qui doit probablement se faire du mal pour payer les prix exorbitants de cette marque, et qui parait venir de la banlieue-ouest et des coins les moins glorieux du 16ème arrondissement.

Les riches étrangers se promènent de rayon en rayon, comme dans n’importe quel “mall” de luxe, à la recherche de quelque chose qui leur ferait envie.  Les français sont impressionnés, tendus. Ils affichent d’abord un air de gratitude, en remerciement de la porte qu’on leur ouvre, puis l’inquiétude fait surface. Ils ne se promènent pas ; ils ont un objet à rapporter de l’expédition, un objet précis.  Les lieux, les prix les désorientent, il ne faut pas se tromper.

Leur politesse est affectée, comme pour signifier : j’ai des manières, je connais les usages du monde – eux que leur relative médiocrité matérielle, comparée aux fortunes des millionnaires russes ou arabes, écarte de l’avenue Montaigne et de la plupart des boutiques de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Les ingénieurs de Chaville, les dentistes de Saint-Germain-en-Laye, les courtiers d’assurance de la Celle-Saint-Cloud vont-ils pour autant à Parly 2 ? Peut-être pas, ce serait trop “moyen”.

En tout cas, la veille de Noël, ils sont maladroits dans ce magasin qui se veut la “crème de la crème” (même s’ils forment une clientèle qu’une maison de prestige ne peut dédaigner).  Ils sont au bas de l’échelle, ils le ressentent – sentiment inhabituel, à l’opposé de leur expérience ordinaire.   Transportés dans le monde du grand luxe, ils sont comme de petits-bourgeois qui rencontrent des notables.  Ils s’adressent aux employés du magasin, qui les renseignent avec une prévenance surjouée – employés qui sont choisis pour leur physique avantageux, leur jeunesse, auxquels la direction donne des vêtements élégants et qu’elle dispose tous les dix mètres comme pour rappeler la dignité du lieu. Où sont les montres ? Où est le rayon cravates ?

J’attends que le vendeur me rapporte la pile que je suis venue chercher.

A une ou deux petites tables autour desquelles les vendeurs font assoir leurs clients, presque toujours en couple, pour leur présenter bracelets, montres ou bijoux, modèles d’entrée de gamme, j’entends des fautes de français étonnantes pour des gens éduqués. C’est l’émotion qui est trop forte peut-être, le respect pour les circonstances aussi. “Le prix, c’est lequel ?” dit un homme d’environ cinquante ans, habillé avec soin, qui examine avec sa femme le bracelet en maille d’acier qu’il veut lui offrir, et dont le fermoir est un grand double H. D’autres couples, autour de tables semblables, aussi empruntés. Eux, avec une déférence perplexe, examinent des montres à quatre ou cinq mille euros.

Et tous ces gens sortiront du magasin un petit paquet orange à la main et, sur le visage, l’air recueilli du sauvage qui promène ses fétiches.

Cassioppée Landgren

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