La réforme bancaire, des doctrinaires aux technocrates

Le projet de réforme du secteur bancaire laisse perplexe.

La comparaison avec les débats puis les travaux lancés aux Etats-Unis et surtout, avec la même inspiration qu’en France, en Grande-Bretagne paraît conduire à une conclusion : le pouvoir considère, sans le dire, que le secteur bancaire français n’a pas à être réformé. Rien n’est imaginé pour inciter les établissements financiers à privilégier le financement de l’économie industrielle. Les activités spéculatives, qu’on voulait isoler des activités bancaires traditionnelles, celles que l’Etat pourrait avoir un jour à garantir, sont définies de telle sorte qu’elles ne concernent pas grand chose dans le total de l’activité des banques. En l’état actuel du texte, il est certes fait un sort au “trading pour compte propre” (souvent le nom poli de l’agiotage avec l’argent des clients) qui devra être filialisé, mais des activités tout aussi dangereuses ne seront pas isolées, à commencer par le financement des fonds spéculatifs.

La rapidité avec laquelle le ministère des Finances a conçu et présenté le projet laisse aussi perplexe. Un rapport de qualité, le rapport Liikanen, a été commandé par la Commission européenne, et pouvait être la base d’une réglementation unifiée à l’échelle de l’Union européenne, ce qui aurait  fait cesser les critiques des banques qui se plaignent d’être désavantagées par des mesures purement nationales. On ne voit pas quelle raison explique cette rapidité, sinon le souci de préempter d’éventuels projets européens.  On notera que l’Allemagne, dont le lobby bancaire est tout aussi influent mais dont le secteur est structuré différemment, a elle aussi voulu préempter tout projet européen et prépare sa propre loi.

Les économistes discuteront des solutions techniques proposées, et surtout de celles qui sont laissées de coté.  Au hasard, on retiendra l’analyse percutante de Noël Giraud et de Pierre-Henri Leroy sur le peu que contient encore le projet (Loi de séparation bancaire : le parachute rêvé des banques, Les Echos du 13 février 2013).  Le consensus des économistes, et pas seulement ceux de Finance Watch, est quand même frappant : une loi pour pas grand chose.

Politiquement, il faut se demander comment on en est arrivé à une loi inutile, qui sera votée sans considération des projets de la Commission européenne – pas un organisme de gauchistes hostiles par principe au monde financier -, et qui n’aura pas de conséquences pratiques sur l’activité bancaire. Il y aura certes des amendements parlementaires, notamment sur les paradis fiscaux, question connexe mais différente de celles que posent le traitement du risque bancaire et le bon financement de l’économie réelle ; mais la substance du projet de loi ne changera pas.

L’explication est-elle à trouver dans l’influence du lobby bancaire sur le ministère des Finances ? Ou alors, mais ce n’est pas sans lien avec la première explication, dans la crainte que le secteur bancaire soit déstabilisé par une loi trop brutale, et réduise le financement de l’économie, occupé qu’il serait à sa restructuration ? En grande partie, probablement.

Peut-être faut-il imaginer une autre explication : la politisation artificielle du débat. Orchestrée par une alliance de doctrinaires et de technocrates sans sympathie pour la finance, qui la regardent avec les yeux de Léon Bloy,  elle a produit ce qu’elle devait nécessairement produire, soit l’absence de consensus politique et le classement du projet parmi les arguments de campagne électorale, ceux dont on ne voit plus la nécessité une fois les élections gagnées.

Dans son fameux discours du Bourget dans lequel il promettait de s’attaquer à la finance et de séparer les activités bancaires utiles à l’économie de celles qui le sont moins, François Hollande reprenait, en effet, un discours que lui suggérait une coalition mal inspirée, faite de doctrinaires qui ont spontanément une attitude disciplinaire envers le monde bancaire et de technocrates qui s’imaginaient avec plaisir en tutelle d’un système bancaire restructuré. Cette coalition a inspiré au candidat Hollande un discours violent, imprécis, mais électoralement utile ; le président Hollande s’est dépêché de l’oublier.

La finance a ainsi été utilisée, sinon comme un sujet “clivant”, du  moins comme un signe de ralliement adressé à une partie de l’électorat, là où il aurait fallu du temps, un travail de fond, un vrai rapport Vickers à la française ou alors la promotion d’un projet de portée européenne – travail de fond qui aurait permis de créer un consensus politique et social capable de protéger la réforme de l’influence des lobbys. Au lieu de cela, la politisation du débat, par contrecoup, fait que l’opposition rejette maintenant toute réforme, alors que le sujet appelle une solution non partisane.

Bref,  un bel exemple d’immobilisme : doctrinaires et technocrates de gauche se coalisent pour donner au débat un tour politique malvenu ; les politiques en font un moment de leur tactique électorale ; aucun consensus politique et social ne vient porter le projet ; et, avec d’autres technocrates sensibles aux arguments de l’establishment bancaire, le projet finit à l’opposé de ce qu’il devrait être.  Espérons que toutes les réformes ne finiront pas ainsi.

Serge Soudray

A lire

Bonne synthèse sur le texte proposé

http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20130206trib000747222/loi-bancaire-un-texte-pour-rien.html

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