Il est flatteur pour l’Ecole normale supérieure, qui lui a donné sa première formation, et pour le Collège de France où elle enseigne que la célèbre Esther Duflo ait été appelée à rejoindre un conseil d’économistes de haut niveau par Barack Obama, au tout début de son nouveau mandat. Ce conseil de neuf membres s’occupera de questions de développement.
Esther Duflo était devenue citoyenne américaine. La voila dans la technostructure de ce grand pays. Bel exemple de “brain drain” ; l’exil n’est pas seulement fiscal, semble-t-il. “Cette baroudeuse de la science économique, intellectuelle de centre gauche et spécialiste de la pauvreté, a émergé ces dernières années comme l’une des plus brillantes de sa génération et l’une des plus célébrées dans le monde, notamment aux Etats-Unis”, indique les Echos du 7 janvier.
Par comparaison, la Russie du Président Poutine n’a attiré qu’un acteur amoindri, en mal de provocations. Puisque François Hollande et Depardieu, dit-on, se seraient longuement entretenus avant que ce dernier s’envole pour Moscou, on veut croire qu’Esther Duflo a eu droit à un coup de fil de même durée, sinon du même ordre.
Il reste, malheureux contraste, que l’absence d’esprits de cette qualité dans l’entourage présidentiel français (laissons les ministères) pose problème, et signale que le monde politique sait mal recruter en dehors de son propre horizon culturel, fait d’énarchie et de militantisme politique. Les énarques et les militants ont leurs mérites, qui ne sont pas médiocres, mais on rêverait que les propositions du pouvoir actuel en matière économique, en particulier, portent l’empreinte des meilleurs esprits de leur génération, sélectionnés pour la rigueur et l’originalité de leur pensée, confrontés depuis leurs débuts à la compétition universitaire internationale, et non pour leur talents manoeuvriers et leur conformité aux critères d’excellence de la fonction publique, respectables mais étriqués. Certes, il y a les “visiteurs du soir”, incognito ou pas…, mais c’est un peu autre chose. Il est aberrant que nos hommes politiques, à gauche surtout, soient encore sincèrement impressionnés par les rangs de sortie de l’ENA, le brio de Grand Oral et l’habitus qui va avec (liste d’anecdotes sur demande), plus que par les livres et la profondeur intellectuelle – d’où le style des recrutements qui ont fait l’actualité. Ce vice est encore plus grand à gauche qu’à droite, où les milieux d’affaires jouent au moins le rôle de contrepoids culturel.
Il en vient que peu d’idées nouvelles, peu de ruptures intellectuelles peuvent se produire dans une situation qui pourtant les réclame. Il en vient aussi que les décisions doivent beaucoup aux équilibres politiques et finalement peu à la “raison objective”.
Des exemples ? Qu’on examine la politique fiscale ou encore la politique du logement de ces derniers mois, toutes deux confuses et routinières, dénuées de principes nouveaux.
Les difficultés de la gauche, en partie au moins, viennent de là, et cela se voit.
Serge Soudray