La gauche et 2022 dans une France très à droite

Les derniers sondages sont assez clairs : la France est très largement à droite1. La gauche, entendue comme cet arc qui va du Parti Radical de Gauche aux partis trotskystes en passant par les écologistes, atteindrait à peine un total de 30% des voix si les présidentielles avaient lieu aujourd’hui. Avec leurs candidats les plus probables, une candidature socialiste serait au mieux à 9%, celle de la France Insoumise à 12%, et les écologistes seraient à 7 ,5%. Par comparaison Emmanuel Macron serait à 25% et Marine Le Pen à 24% (et 30% si elle préempte les voix de N. Dupont-Aignan), Xavier Bertrand étant à 16%, soit pour la Droite au sens large plus de 65% des voix. L’air du temps n’est pas de gauche.  Après avoir testé de nombreuses hypothèses, l’IFOP conclut que « quel que soit le scénario et même si elle parvient à se mettre en tête sur une candidature unique en 2022, la gauche n’apparaît aujourd’hui pas en mesure d’éviter une nouvelle élimination au soir du premier tour ».

La situation pourrait évidement évoluer d’ici le printemps 2022, mais on ne voit pas quelles forces sociales seraient suffisantes. La sociologie des votes parait figée, spécialement en ce qui concerne les classes populaires, elles qui sont la clef des élections pour d’évidentes raisons démographiques.

Le vote populaire

Or les classes populaires choisissent majoritairement le Rassemblement National, et la gauche traditionnelle ne parvient pas à les en détacher. Ses promesses de refiscalisation des classes plus fortunées et de redistribution plus étendue2 ne portent visiblement pas, ou pas suffisamment.  Quant aux écologistes, ils sont hors-jeu : les slogans contre la voiture et la croissance heurtent le mode de vie recherché par ces classes, dont les conditions matérielles d’existence, difficiles, exigent souvent l’automobile3 et une amélioration du pouvoir d’achat. La gauche ne parle donc plus qu’aux couches intermédiaires de la fonction publique, le cœur historique de son électorat, sans guère d’audience au-delà. Elle paraît s’en être accommodée, même si comme après chaque élection perdue, ses leaders vont promettre de lutter contre l’abstention dans les couches défavorisées et de regagner les voix qui, selon eux, leur reviennent naturellement.4

Dans ce contexte, la gauche a fait le pari d’entrer dans une contestation tous azimuts d’Emmanuel Macron accusé d’être le président ultra-libéral et autoritaire des élites économiques, tel un mini-clone de Pinochet – d’où l’insistance sur les violences policières, non pas au mépris des faits mais dans l’oubli des contextes. Cette stratégie étonne si l’on admet qu’Emmanuel Macron est une synthèse plus ou moins cohérente de Valéry Giscard d’Estaing, de Tony Blair et de Gerhard Schröder, un libéral de centre-droit qui n’a pas grand-chose à voir avec le thatcherisme des année 80. Dans le même esprit, la partie de la gauche sensible aux thèses décoloniales, qui a Médiapart pour bulletin paroissial, utilise le projet de loi contre le «séparatisme» pour faire d’Emmanuel Macron un islamophobe en quête de voix d’extrême-droite, de la même façon qu’elle avait instrumentalisé contre François Hollande la très maladroite déchéance de nationalité. Au demeurant, ce «multiculturalisme»  naïf, dévoyé n’est pas prêt de lui rallier les classes populaires et, après l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine, va probablement lui faire perdre les enseignants.

Mais la gauche n’a pas le choix : sous peine de disparaître, elle doit détourner ses électeurs traditionnels du réformisme que veut incarner Emmanuel Macron avec un bonheur très relatif ; elle doit absolument le discréditer. C’est une opposition foncièrement défensive et tactique.

Sans améliorer  pour autant l’audience des différentes gauches, cette stratégie est néanmoins en train de réussir sur un point critique : Emmanuel Macron aura du mal a regagner les électeurs qui le jugent trop à droite, et probablement auront-ils raison. De leur point de vue, même si elle n’est pas antisociale comme l’aurait été celle de François Fillon, la politique actuelle n’est pas vraiment de gauche. Elle fait trop confiance aux élites économiques, et surtout reste technocratique et centralisatrice.

Une gauche de gouvernement sans boussole

Il reste que le sondage de l’IFOP le démontre assez clairement : décrédibiliser le macronisme, c’est efficace jusqu’à un certain point, mais  cela ne mène pas loin, et en tout cas pas à la victoire électorale. La sensibilité politique du pays est trop à droite. Compte tenu que l’opinion évolue ainsi pour des raisons très profondes qui tiennent aux mutations du travail qui fragilisent les classes populaires et désormais les classes moyennes5, aux difficultés d’intégration des minorités extra-européennes et au vieillissement de la population, la gauche pourrait tout bonnement disparaître du paysage politique français, dans une trajectoire qui a déjà abattu le SPD allemand et le Labour de Jeremy Corbin.

La vraie question désormais est de savoir si les grands thèmes de la gauche, à savoir la remise en cause à des degrés divers des mécanismes de marché pour organiser la société, le souhait d’une hiérarchie sociale qui ne soit pas le décalque de la hiérarchie économique, le souci des libertés publiques, le goût des créations culturelles qui ne sont pas seulement l’écho du passé, seront bien défendus dans une coalition d’opposants radicaux, et disons-le gauchistes, ou s’ils le seront mieux aux côtés d’un centre-droit enrichi par ce qui ne lui vient pas naturellement à l’esprit.

La question est d’autant plus critique que ces thèmes de gauche sont aujourd’hui dénaturés par les différentes mouvances radicales : sur des plans différents, la décroissance et le refus de l’innovation technique ne correspondent pas à la culture rationaliste de la gauche traditionnelle ; le « multiculturalisme » de la mouvance décoloniale, si influente désormais, est totalement étranger à sa culture laïque et républicaine.

Avec sa stratégie d’opposition frontale, le Parti socialiste paraît avoir répondu à la question6. Mieux vaut, estime sa direction, tenter sa chance dans une nouvelle version de la gauche plurielle, cette réussite électorale bien connue.

Mais, parions-le, ce n’est pas de se ranger derrière une candidature écologiste qui fera disparaître le Parti socialiste, comme le craignent ses hiérarques ; c’est de continuer dans l’opposition absolue, de principe, dans une compétition où, sur sa gauche, il trouvera toujours plus radical.  Dirigée comme elle l’est, l’avenir de la gauche, et en tout cas de la gauche de gouvernement, parait bien compromis.

Serge Soudray

Notes

Notes
1Sondage IFOP du 4 octobre 2020
2La hausse des minimas sociaux, le RSA jeune ou le Revenu universel.
3Qui rêve de se retrouver sur la Ligne 13 ? Les banlieusards, aux présidentielles, sauront se venger de la Mairie de Paris et de ses écologistes.
4Récemment, sous la plume d’un journaliste que la rumeur dit très, très à gauche, Le Monde déplorait que la gauche ait cessé de « travailler » sur les questions posées par le Rassemblement National et lui avait abandonné les classes populaires. Travailler, pourquoi pas ! Mais encore faudrait-il avoir quelque chose à leur dire (Le Monde du 16 octobre 2020, Sortir la gauche de l’apathie face au Rassemblement national).
5Désindustrialisation plus prononcée en France qu’ailleurs, uberisation, suppression des couches intermédiaires de l’encadrement, hausse des exigences en matière de qualifications professionnelles…
6Opposition qui devient comique quand elle est le fait du Parti Radical de Gauche, parti très modéré qu’on imagine mal participer aux coalitions incluant  des mélenchonistes et des écologistes radicaux !
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