Valls : que va-t-il faire dans cette galère ?

La prévision en politique est un art difficile. Le ridicule n’est jamais loin. C’est pourtant à ce jeu qu’on voudrait se livrer au sujet des présidentielles et précisément de la primaire du PS. Ce jeu concernera deux candidats qui ont intéressé cette revue, deux candidats au dessus du lot dans cette masse  instable qu’est devenue la Gauche : Valls et Macron.

Valls sous les feux croisés

Valls a contre lui, sans nuance, le bloc historique du PS qui ne lui pardonne pas son modernisme et son goût pour ce que ce bloc a toujours détesté : la troisième voie et le blairisme, auxquels elle n’a jamais rien compris. Ce bloc votera Hamon sauf si Aubry sait présenter un autre apparatchik tout aussi creux mais qui n’aura pas encore laissé paraître son insignifiance. Ajoutant à la confusion, Peillon vient de prêter son élégante silhouette à la stratégie anti-Valls. Ce n’est pas un crétin, mais sa seule légitimité est de jouer les utilités dans ce combat de sabotage. ‎Comptons sur cette Gauche pour nous reparler, pendant cinq mois, du care, de la réduction du temps de travail et du projet de revenu minimum garanti, ces thématiques aux effets anti-chomages bien connus. Elle explosera au premier tour des présidentielles, en mai, face à la droite et à l’extrême-droite1 – ce qui n’aura pour elle aucune importance au demeurant : son seul but, c’est la pérennité du parti comme institution et le respect de ses équilibres.

Un bloc, appelons le bloc excentrique, votera pour Arnaud Montebourg, qui a pour lui de pouvoir adresser toutes sortes de  signaux peu cohérents mais nouveaux aux différents segments de la Gauche, sur l’Europe, le libre-échange, les institutions, l’intégration… . Il dit vouloir aller jusqu’à Mélenchon, se disant qu’après tout, Mitterrand est bien allé jusqu’à Georges Marchais. Son souverainisme sans méchanceté, œcuménique, pourrait lui attirer des suffrages multiples, mais son vrai fonds est aimablement radical-socialiste, pas socialiste de culture ni d’appareil, et puis la Gauche énarchique ne l’aime pas. Deux raisons qui lui seront fatales. Les militants et les élus se tiendront probablement à l’écart.

Au delà des courants du PS, Valls aura contre lui, dans l’opinion, toute cette frange non libérale fidèle aux principes de l’économie administrée et du Tax & Spend…  Foi de charbonnier. On sait qu’elle est très représentée dans le secteur public et dans la jeunesse gauchisante qui s’est reconnue dans le mouvement Nuit Debout. Le spectre va des Frondeurs aux électeurs tentés par Mélenchon. Ils viendront voter contre lui à la primaire avec le sentiment de la revanche contre un social-traitre.

Valls aura aussi contre lui les multi-culturalistes dévoyés, ces militants anti-colonialistes égarés au XXIème siècle, qui prennent Edwy Plenel pour un guide spirituel et Patrick Weil pour un homme avisé. A leurs côtés, il trouvera les islamo-gauchistes et les vrais islamistes, ravis de saisir l’occasion de voter contre lui à la primaire. Médiapart et les Indigènes de la République pourront claironner qu’ils ont eu la peau de Manuel Valls.

Quant au centre-gauche, conscient de ce qui précède et de ce qui s’annonce, il se réserve pour Macron en mai prochain, et ce d’autant que Valls est obligé d’abandonner sa thématique post-rocardienne pour se repositionner.

Debout les Morts

Faute de mieux, Valls en appelle donc aujourd’hui aux fonctionnaires de catégories C et D,  inquiets des propositions de la droite fillonistes sur la fonction publique, aux petites gens (sic) qui ne pourront plus être soignés, et qu’il veut détourner du vote Le Pen.  Vraies questions, mais tout cela a quand même un côté Debout les Morts qui fait peine à voir. Valls en appelle aussi aux élus PS loyalistes. Il y en aura, mais certainement moins que pour voter Hamon ou Peillon.

On ne voit donc pas quelles masses, à Gauche, pourraient venir déposer un bulletin Valls lors de la primaire. On voit bien en revanche les bataillons qu’il coalisera contre lui, et qui se partageront entre Montebourg, Hamon et Peillon. La seule garde dont il disposera, stoïque, viendra des milieux féministes, ‎laïcs, républicains qui lui savent gré de sa fidélité aux principes. C’est honorable, respectable mais c’est maigre.

Ne jurer de rien, certes

On ne saurait jurer de rien en ce moment. Il faut seulement regretter que Valls se soit laissé piéger par un président aussi faussement bonhomme qu’il est mal inspiré  – ce qui a tué son quinquennat. Partir au combat lesté d’un bilan discrédité (à tort ou à raison), sans troupe, ‎c’est une aventure périlleuse, et ce n’est pas en rejouant l’Union de la Gauche, le retour de la Force tranquille ou la Gauche Plurielle qu’il convaincra au sein et hors du PS. L’acteur est à contre-emploi et ces pièces n’ont plus de vrai public. Avec le score qui risque d’être le sien à la primaire, il a de bonnes chances de discréditer sa ligne et ses positions pour l’après-2017.

“Mais qu’allait-il faire dans cette galère ?”, c’est probablement ce que l’on pensera au terme de la primaire socialiste.

La conclusion vient d’elle même : même si le deuxième tour de la présidentielle paraît difficile à atteindre, peut-être impossible, et malgré le scepticisme qu’il a pu inspirer au début (y compris à l’auteur de ces lignes), Emmanuel Macron a une carte à jouer  – et au fond, admettons-le, il la mérite, cette carte.

Serge Soudray

Notes

Notes
1La Droite aura toute liberté pour parler seule de relance de la création d’emplois (par ses méthodes) et de protection de l’identité nationale, bien en phase malheureusement avec l’opinion, deux thématiques sur laquelle le PS n’a plus grand chose à dire.
Partage :