Réformer sans mandat et gouverner sans troupes

La récente tribune d’un conseiller démissionnaire du ministre du travail, Myriam El-Khomri, contre la réforme du Code du travail a au moins un mérite. Elle prouve de nouveau qu’on ne peut gouverner sans majorité sincère ni réformer sans partisans déterminés des réformes.

La tribune de Pierre Jacquemain, publiée le 1er mars dans Le Monde, reprend ou plutôt annonce tous les contre-arguments que soulèvent aujourd’hui les députés frondeurs, les membres du corps central du Parti socialiste ou la gauche radicale. Comme toujours quand il est question de Manuel Valls et de François Hollande, ces arguments sont chantés sur l’air de la morale outragée : trahison des valeurs historiques du socialisme, complaisance pour les revendications patronales, déshonneur de la gauche, etc. Bref, un procès en apostasie.

Le ferme propos de ce conseiller est tout à fait classique dans ce segment de la gauche française, et on s’en voudrait de ne pas le citer au moins une fois : “je veux croire qu’une autre voie est possible. Elle est possible, souhaitable, et nécessaire. Dehors à présent. Pour construire l’alternative à gauche. La politique est une affaire de conviction, de colonne vertébrale, de vision, de transformation, et de rêve, disais-je. Parce que, pour faire de la politique, il faut rêver.”

La foi du charbonnier en quelque sorte.

On ne songe pas à critiquer ce conseiller pour ressentir les choses ainsi. La question est de savoir comment, compte tenu de ses opinions, de cette sensibilité socialiste old school, respectables mais qui n’ ont pas démontré qu’elles pouvaient sortir le pays du chômage de masse, il a pu être nommé conseiller du ministre du travail et exercer ses fonctions. Qui l’a nommé ? Ne lui avait-on rien dit ?

(Hippolyte Flandrin, jeune homme nu assis)

Cette tribune, c’est encore une illustration de ce qui fait la faiblesse irrémédiable du pouvoir socialiste : il n’a pas reçu mandat de mener cette politique, il n’a pas la base sociale, le bloc électoral et la majorité parlementaire qui le lui permettraient. Il n’a même pas au ministère du travail les experts convaincus pour la mettre en œuvre intelligemment. Quand le tournant s’est effectué, au moment du Pacte de compétitivité, le pouvoir socialiste n’a ni dissout l’Assemblée nationale pour demander au pays une nouvelle majorité, ni procédé à une ouverture politique vers les groupes qui pouvaient appuyer le nouveau cours politique. Il a préféré tenir sa majorité, au risque de l’inefficacité, par les techniques du parlementarisme rationalisé et la négociation permanente.

Et cette nécessité n’est pas sans expliquer le caractère confus et précipité de cette réforme du Code du travail. Il n’aura pas suffi de la préparer par les rapports Combrexelle et Badinter et de nommer une ministre du travail au profil non technocratique, comme une préparation d’artillerie précède l’offensive. Mouvement bien orchestré, mais trop facile à déchiffrer. La tactique ne donne rien de bon quand l’état-major doit composer avec un arrière qui reste sceptique et des troupes au bord de la mutinerie. Privé des bases de ce qui permet l’action politique, le pouvoir est donc obligé de s’en remettre à l’opinion, d’où ce goût de la communication et, les plan com répétés, au demeurant dénués d’effets – comme s’il fallait, par les journaux et les télévisions, faire apparaitre une majorité de remplacement. Quant à la CFDT, elle fait un peu figure de bouée de sauvetage dans ce débat.

On ne gouverne pas sans majorité sincère, sans conseillers conscients du mouvement à imprimer ; on ne réforme pas sans mandat. Ce sera la leçon de ces cinq années.

Serge Soudray

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