La refondation ? A coup de plan com et sans ouverture politique

La façon dont le pouvoir socialiste essaye de redéfinir son offre politique, et précisément en matière de politique économique, est devenue déconcertante.

Ce n’est pas que les mesures proposées (plan de formation, nouvel accent mis sur l’apprentissage, jusque-là sacrifié aux emplois d’avenir et autres TUC) soient stupides, loin de là. C’est qu’elles signent un aveu : ce qui a été fait depuis mai 20121. Timidité, donc.

Ce qui déconcerte aussi par contraste, c’est le nombre de signaux imbéciles adressés par le pouvoir aux groupes dont il veut se gagner les faveurs, et surtout les milieux économiques. Valls avait commencé par un “j’aime l’entreprise” qui sentait le plan com et surtout la maladresse. Macron finit en jugeant la vie d’entrepreneur plus difficile que celle de salarié. Dans les deux cas, ce n’est ni vrai ni faux, c’est idiot. Le but, et il ne faut pas discuter longtemps avec leurs conseillers pour le mesurer, c’est d’adresser un signal à des groupes sociaux qu’on rêve d’intégrer dans un nouveau bloc électoral, moderne, et dont on espère a minima qu’ils procéderont aux investissements qui manquent, faute de confiance, croit-on2. La com a ses limites, et les petites phrases, les annonces finissent par lasser. Il est plus difficile de communiquer avec la société que sous le Second Empire !

Il faut rassembler, et la prudence quant aux réformes de nature libérale pour conserver ce qui reste de la gauche classique (les salariés du secteur public, peu portés sur le libéralisme économique, les classes moyennes qui ont voté Hollande en 2012, tous ceux qui ont lu Piketty et pensent bien comprendre la situation française) est donc combinée à une communication tapageuse vers les groupes qui souhaitent une certaine forme de réformisme libéral. Les Hollandais couvrent le premier front, Valls et Macron, le second ; François Hollande se pose en garant de la synthèse.

La naïveté s’allie au sentiment de n’avoir pas d’autre choix, sentiment probablement fondé3. La crédibilité du groupe humain au pouvoir, isolé, n’en sort pas renforcée !

Nous avons ainsi désormais ce spectacle étonnant d’un pouvoir socialiste dépourvu de base sociale, privé de coalition politique, et qui tente, à force de propositions économiques peu conciliables, d’en former une autre en cours de mandat. C’est aller à la pêche avec plusieurs lignes et plusieurs types d’hameçons. La pêche est maigre pour l’instant, et puis les bancs de poissons n’ont pas envie de frayer ensemble.

D’ordinaire, c’est l’ouverture à d’autres forces politiques qui permet de constituer un nouveau bloc électoral et le bloc social sous-jacent. Le pouvoir socialiste prétend y parvenir sans frais, en s’adressant aux groupes  dont il a besoin sans impliquer ceux qui, dans l’ordre politique ou la société civile, en sont les représentants. La refondation sans ouverture politique4 !

N’est-ce pas trop tard de toute façon ? Les sondages sont cruels et n’ont aucune raison de changer. Le pouvoir socialiste a déçu et décevra sur ses deux flancs. Une partie du peuple de gauche parle de trahison des valeurs sur le ton de Plenel ou de Mélenchon ; les milieux d’affaires, les classes moyennes réformistes, ceux que la gauche pourraient tenter parlent d’archaïsme et de pusillanimité. Tous ont raison.

Il y aura bien toujours certains électeurs pour ressentir une obligation de loyauté post mortem, mais faisons ici le pari : malgré l’envie qu’il en a, le président aura la sagesse de ne pas se représenter.

Serge Soudray

Post-Scriptum au 11 février 2016 : le nouveau gouvernement vient d’être annoncé. Quelques écologistes dissidents, une conseillère proche –  bref, rien.

Fresque du pêcheur, art minoen, Santorin, 1650 avant JC

Notes

Notes
1Taxation des heures supplémentaires, hausses des impôts et des charges, emplois d’avenir hors du secteur marchand, emplois de remplacement des seniors qui n’ont jamais intéressé personne, puis en urgence, le CICE quand le logiciel du PS a permis que soit abordée la question du coût du travail.] était malvenu et au mieux très léger, comme l’illustre la fin du débat sur le travail du dimanche.  Face aux objections du monde syndical, compréhensibles et légitimes dans leur ordre, mais inacceptables si le but est de lutter contre le chômage, le gouvernement a préféré ne pas arbitrer nettement en faveur de l’emploi. Il lui faut ménager cet électorat de gauche qui est sensible aux arguments syndicaux[1. Arguments qui ne sont pas méprisables, mais qui font l’impasse sur les intérêts des personnes qui gagneraient un surcroît de salaire ou un emploi dans une activité dominicale, ce qui est malheureux en période de chômage de masse. Le débat sur le Code du travail qui s’ouvre en ce moment avec le rapport Badinter se terminera probablement dans les mêmes termes. Certes, le pire n’est pas toujours sûr.
2Sur un ton disciplinaire, viril, l’aile gauche du PS veut des engagements fermes en contrepartie des baisses de charges ; l’aile socio-libérale sait que c’est idiot, mais croit qu’il faut inspirer confiance pour relancer l’investissement et l’emploi – comme si, dans les deux cas, tout était psychologie.
3Chacun espère in petto que le bloc électoral se soudera autour de lui.
4Certes, le remaniement qui s’annonce pourrait être l’occasion d’une ouverture politique – encore faut-il qu’il y ait des candidats.
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