Le bateau ivre ou les tribulations du Parti socialiste

La dernière semaine du mois d’août aura été riche en évènements politiques.

Du limogeage des ministres frondeurs à la standing ovation faite par le Medef à Manuel Valls, on a assisté en mode accéléré à ce qui pourrait apparaître comme un dénouement d’une situation générée par les multiples contradictions de la politique socialiste. Les plus optimistes seront tentés de voir dans ces évènements un énième épisode de la guerre des deux gauches ou des deux roses. C’est l’explication la plus communément admise et dans tous les cas celle que la majorité des commentateurs de la vie politique française nous martèle dans tous les médias depuis des mois.

Les plus réalistes y verront exactement le contraire : ces luttes pseudo-idéologiques masquent, en fait, l’absence de réflexion idéologique et donc économique de la part du Parti socialiste. Passer en un peu plus de deux ans de la dénonciation de la finance à l’exaltation des entrepreneurs, d’un anti-capitalisme de pacotille à un pro-capitalisme inutile révèle, qu’à la vérité, le Parti socialiste n’a pas beaucoup réfléchi aux questions économiques ni même aux questions politiques d’ailleurs.

Guerre des deux gauches ?

La guerre des deux gauches suppose qu’il existe effectivement deux gauches au parti socialiste mais est-ce le cas ? Si l’on repère bien un courant dit de gauche qui dépasse d’ailleurs difficilement les 20%, mais que les médias pour des raisons qu’il resterait à élucider surestiment toujours, où est l’autre courant ? Parle-t-on de la coalition majoritaire du PS, celle héritée du vieux courant mitterrandien et qui gouverne, de fait, le PS depuis la rupture de 1982-1983? Cette coalition n’a qu’un seul structurant : la conquête du pouvoir et la réflexion économique voire idéologique n’est pas son problème. Certes, certains comme Martine Aubry peuvent faire illusion en agitant le chiffon rouge d’une hypothétique politique de gauche ; mais qui pourrait sérieusement définir les constituants de cette politique censée être plus à gauche que celles menées actuellement ? Qui pourrait définir les contours de l’aubrysme? Et au fond qu’est-ce-qu’une politique de gauche ? Et question principale : à qui s’adresse-t-elle ?

Le drame du Parti socialiste réside dans le fait qu’il est devenu ce qu’il est convenu d’appeler sinon un parti cartel du moins un parti fortement cartellisé, où la ressource idéologique est utilisée de manière fondamentalement opportuniste en fonction des contextes  socio-politiques du moment. En d’autres termes, la démarche opportuniste est très proche de celle qu’on connait dans le marketing.  L’objectif n’est pas de convaincre mais de vaincre. Si l’on s’intéresse aux processus décisionnels qui ont conduit à l’adoption des mesures phares de la gauche ces dernières années comme les 35 heures où l’imposition à 75% des plus hauts revenus, que découvre-t-on ? Que ces mesures et au sens vrai du terme ont été décidées sur un coin de table sans aucune réflexion sérieuse au préalable mais qu’elles satisfaisaient, pensait-on, les besoins exprimés par les électeurs. Le discours sur la finance de François Hollande participe des mêmes ressorts.

On comprendra qu’une telle démarche ne peut conduire qu’à toutes les confusions et à toutes les contradictions : la conquête du pouvoir étant une chose et l’exercice du pouvoir une autre. Ces oscillations permanentes entre opportunisme idéologique et réalisme révèlent, là aussi, non les fractures idéologiques du parti mais son absence totale d’idéologie et c’est là le paradoxe que beaucoup de commentateurs de la vie politique française ne veulent pas saisir.

La surmédiatisation des frondeurs ne doit pas faire oublier que la coalition majoritaire du Parti socialiste n’a jamais réussi véritablement à définir une orientation claire et à répondre à ces deux questions fondamentales : Que fait-on et pour qui le fait-on ? Cet exercice devient très difficile, car le Parti socialiste peine à admettre qu’il est devenu sociologiquement un parti démocrate américain bis, un parti de plus en plus bourgeois dans sa composition et dont l’assise électorale dépend de plus en plus de l’appui massif des diverses minorités. Le fameux rapport Terra Nova, tant commenté et tant décrié, avait au moins le mérite de souligner ces évolutions sociologiques qui paraissent irréversibles, on y reviendra.

Qui représenter ?

Il n’est nul besoin ici  de montrer que le Parti socialiste ne représente plus les catégories populaires. Plus grave encore, il est en train de se couper aussi des couches moyennes salariées.  Là aussi, l’absence de réflexion préalable conduit à des politiques économiques qui finissent par mécontenter tout le monde. Si, en effet, il y a un relatif consensus sur le fait que la compétitivité des entreprises passe par un allègement des charges et donc plus globalement par une politique de l’offre, la question sur laquelle on eût du réfléchir est-celle-ci : comment financer cette politique dite de l’offre ? Par des économies ou par les impôts ? Les divers gouvernements socialistes qui se sont succédés ont choisi de faire principalement financer cette politique par une surimposition de la classe moyenne. C’est politiquement suicidaire et économiquement contre-productif.

Il ne s’agit pas ici d’opposer une politique de l’offre à une politique de la demande mais de penser intelligemment à l’articulation entre les deux en évitant d’agir dans l’urgence, ce que ne cessent de faire les gouvernements socialistes.  A vrai dire, la mise en place d’une véritable politique d’économies se heurte à une autre caractéristique organisationnelle du Parti socialiste : celle d’un parti qui sous l’influence croissante de ses élus locaux est devenu de plus en plus un parti clientéliste et qui adapte ses politiques en fonction des clientèles à préserver ou à promouvoir. Il est clair qu’au delà du blocage du point d’indice ou de quelques mesures sur lesquelles on essaie de revenir, le PS ne se risquera jamais à des politiques qui le couperaient définitivement de l’appui de ses derniers réduits électoraux, comme la fonction publique ou les intermittents du spectacle par exemple.

Ce qui pose aussi problème dans les revirements « réalistes » de la gauche gouvernementale, en 1982 comme en 2014 c’est qu’ils s’opèrent dans l’urgence et dans la confusion. De fait, le réalisme supposé consiste à s’aligner sur des politiques économiques très orthodoxes, ce qui fut le cas en 1982-1983 et ce qui l’est encore en 2014. Dire cela, ce n’est pas cautionner une hypothétique « autre politique », c’est tout simplement considérer que les voies et les moyens pour mener une politique économique « réaliste » sont multiples mais que tout dépend en dernier ressort des objectifs qu’on lui assigne, ce qui suppose que ces politiques aient été pensées et minutieusement préparées. Si l’on excepte les quelques peu fumeuses réflexions sur le « care » où sur la société post-industrielle (qui se sont avérées totalement erronées), qu’a produit le Parti socialiste en matière de réflexion économique et sociale ? Où sont les Anthony Giddens du Parti socialiste ?

Pas grand chose en vérité et on sait que la réflexion a été sous-traitée de fait à des think-tanks, plus ou moins écoutés et lus. La séquence est celle qui se répète à chaque fois : on commence par faire à peu près n’importe quoi, et puis on opère un virage sérieux et réaliste qui, comme on l’a dit, finit par mécontenter tout le monde. Le conformisme des politiques économiques de la gauche ne provient pas du fait qu’il n’existerait qu’une seule politique possible, mais de l’absence quasi totale de réflexion – ou quand réflexion  il y a, c’est sur la seule variable fiscale qu’elle s’opère. Cette absence de réflexion résulte de la nature profonde du parti, et aussi de plus en plus de ses contradictions sociologiques. Le vrai dilemme pour le PS est d’arriver à satisfaire des demandes très différenciées voire contradictoires de ses différents électorats. Dilemme d’autant plus difficile à résoudre que la composition militante du Parti socialiste ne cesse de se déplacer vers les couches diplômées, pas seulement issues du secteur public d’ailleurs, disposant de revenus conséquents et dont les préoccupations sont  de nature plus sociétale que sociale. Ce n’est pas un hasard, de ce point de vue, si Christiane Taubira est devenue la nouvelle icône de la gauche militante. La “boboïsation” du PS n’est pas un mythe ; la nouvelle frontière idéologique du parti est devenue la modernité, mais une modernité qu’il a beaucoup de mal à vraiment définir et qui ne convainc guère les classes moyennes et encore moins l’électorat populaire.

La fracture de plus en plus ouverte entre d’une part, les élites socialistes, leur  composition idéologique et leurs aspirations et d’autre part, les aspirations des différentes parties du corps électoral qui lui permettent de gagner les élections est manifeste et on ne pourra, là aussi, reprocher au rapport de Terra Nova de l’avoir révélée.

Le dilemme du Parti socialiste se trouve tout entier résumé dans ce paradoxe : il représente de moins en moins les classes moyennes et populaires mais il a absolument besoin d’elles pour gagner les élections d’où des programmes bricolés à la hâte que l’on oublie aussi rapidement qu’on les a adoptés !

La Droite est aussi confrontée à ce dilemme sauf que le recours au discours sur les valeurs pour séduire ces électorats, malgré des hauts et des bas, fait encore partie de son patrimoine idéologique et dans tous les cas rencontre de forts échos dans sa base militante.

Le sociétalisme est une voie sans issue pour le Parti socialiste et on a vu, aux dernières élections, les ravages qu’il pouvait opérer dans des électorats considérés comme acquis. On se doute qu’après la séquence « réaliste » d’août 2014 et sa déclaration d’amour au libéralisme économique, le gouvernement Valls II  essaiera de se faire pardonner en promouvant des réformes issues, elles, du libéralisme culturel. Stratégie vaine qui n’a jamais marché mais qui donne l’illusion que l’on peut se passer, au fond, de réfléchir à ce que devrait-être une politique économique de gauche au delà des incantations stériles et du conformisme tout aussi stérile. Le Parti socialiste évitera-t-il cet écueil ? Rien n’est moins sûr !

Si le verbiage idéologique constitue sans aucun doute la maladie infantile du socialisme, le recours à des politiques de rigueur mal pensées et encore moins définies l’est tout autant !

Jean-Claude Pacitto

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