De l’institution aux contrats, le couple dans tous ses états

Le droit du couple (et partant du droit de la famille) a changé de visage depuis une quarantaine d’années1. La composition de la nouvelle famille (si tant est qu’elle existe encore) ne dépendrait que de la volonté individuelle. C’est la famille « contractuelle » qui apparaît, mettant à l’épreuve aujourd’hui le mariage avec la reconnaissance de l’union homosexuelle. Et après ? Quel est l’avenir d’un tel système.

Du Code civil aux années 60

Autrefois (c’est-à-dire – grossièrement – dans toute la période qui s’étend de l’avènement du code civil de 1804 aux événements de mai 1968), le droit de la famille était monolithique et impératif : la famille était fondée sur l’union d’un homme et d’une femme déclarant vouloir se marier. Mais le mariage était beaucoup plus qu’un simple échange de volonté révélant un contrat. C’était une institution : en échangeant leur volontés, les époux acceptaient d’entrer dans un système formé de règles impératives que leurs volontés individuelles ne pourraient en aucun cas contourner ou remettre en cause, et dont ils ne pourraient par principe pas sortir. Quand on se mariait, c’était pour toujours et il fallait obéir à la loi du mariage. C’était ainsi et il n’y avait pas lieu de discuter.

Le caractère institutionnel de l’union se révélait à tous les stades de son évolution :

Sur le terrain de la formation du couple, le mariage était défini par le Code civil comme ’union d’un homme et d’une femme déclarant se prendre pour époux. Cette union officielle est célébrée devant l’officier de l’état civil, représentant la Société. Le mariage est donc une « affaire d’état » et c’est bien le seul moyen de fonder une famille reconnue par la loi : les autres formes d’union sont ignorées2. Ce qui veut dire qu’il est d’abord une insulte à la famille (institution sociale) avant d’être une insulte au conjoint. C’est une cause péremptoire de divorce (ce qui veut dire que le juge est tenu de prononcer le divorce aux torts de l’époux adultère sans pouvoir en modérer la gravité). Il n’est pas question de « négocier » un adultère. Le devoir de cohabitation est lui aussi d’ordre public et d’ailleurs la femme est obligée d’habiter avec le mari « et de le suivre partout ». Car la famille a un « chef » qui est le mari. Les époux ne vivent pas dans un rapport d’égalité et la famille forme un groupe. Certains auteurs parlent à l’époque de « personnalité morale ».

Enfin, dans ce système institutionnel, le mariage est indissoluble ou presque. Il le sera pendant la plus grande partie du XIX eme. La loi Naquet n’autorisera le divorce que « pour excès sévices et injures graves ». Mais il n’est pas question de divorce par consentement mutuel et encore moins de divorce par rupture unilatérale.

Durant cette période, le droit du couple est d’ordre public, mais il s’agit d’un ordre public de direction. C’est-à-dire d’un ordre public qui impose et que la volonté individuelle est inapte à contourner. A cette époque, le droit civil s’accorde tout à fait avec le droit de l’Eglise dont il est pourtant séparé. D’une certaine façon, le mot « institution » n’est que la traduction laÏque du mot « sacrement » : le devoirs du mariage civil sont calqués sur les devoirs engendrés par le mariage religieux3. Portalis définissant le mariage civil y verra « la plus sainte des institutions, le contrat le plus sacré ». Ces mots ne sont pas neutres.

Des années 60 aux années 2000

Les années 1960 verront l’avènement de la « contractualisation » du couple (et partant du droit de la famille), et c’est le célèbre professeur Jean Carbonnier qui encadrera cette révolution tranquille. Cet avènement est la conséquence de l’apparition des doctrines individualistes qui finiront peut-être par porter un coup fatal au couple4.  Bien sûr, un mouvement ne se crée pas en un jour. Sur une quarantaine d’années, l’union conjugale perdra progressivement son caractère institutionnel jusqu’à s’abaisser définitivement au rang des contrats.

Sur le terrain de la formation du couple, le mariage n’est plus le seul moyen de former une union reconnue par la loi. C’est là sans doute l’événement le plus troublant. Depuis novembre 1999 le pacte civil de solidarité et le concubinage sont entrés dans le code civil. Le pacte civil est expressément défini par le législateur comme « un contrat ». Les rapports de concubinage peuvent être de leur côté « contractualisés ». Le mariage et le pacte apparaissent tout à coup comme deux formes de « contrats solennels » passés devant un officier public. Tandis que le concubinage n’est plus la « situation de fait » ignorée du législateur puisque celui-ci la reconnaît. N’est ce pas plutôt une espèce de contrat consensuel ? Peut-on réellement vivre « une situation de fait » avec quelqu’un sans l’avoir voulu ? La réalité des engagements des concubins dépendent de leur preuve : si ma concubine arrive à prouver que je me suis engagé envers elle, pourquoi le juge ne pourrait-il me condamner en sanctionnant mon engagement ?

Sur le terrain  des effets produits par l’union, les effets patrimoniaux peuvent toujours être aménagés conventionnellement (on parle dans le pacte civil de « régime partenarial » comme on parle de « régime matrimonial » dans le mariage) et il en va de même désormais des effets personnels. Et c’est là la nouveauté : les époux peuvent conventionnellement se dispenser du devoir de cohabitation, ils peuvent avoir « des domiciles distincts sans qu’il soit porté atteinte à la communauté de vie »5, dans le cadre de procédure de divorce par consentement mutuel ce genre de conventions. Il n’existe plus de « cause péremptoire » de divorce et les torts se « négocient » ; A l’inverse dans le pacte civil de solidarité, on évoque sérieusement la possibilité d’inclure contractuellement un devoir de fidélité assorti, pourquoi pas, d’une clause pénale. Et l’on se demande pourquoi un concubin ne pourrait-il pas contractuellement s’engager à devoir la fidélité à sa concubine ? Pourquoi un tel contrat serait-il nul ? Apparaît en doctrine l’expression de « fidélité à géométrie variable ».

Sur le terrain de la résiliation de l’union, progressivement, ce sont les règles présidant à la rupture contractuelle qui ont intégré le droit de la famille. On sait qu’un contrat peut être résilié « mutuus discensus » (c’est-à-dire d’un commun accord) pour inexécution fautive (1184 C.Civ) ou encore unilatéralement quitte a respecter un préavis, s’il s’agit d’un contrat a durée indéterminée. La loi du 11 Juillet 1975 nous apporta le divorce par consentement mutuel (que la loi de 2004 simplifia à l’extrême) et toutes les formes de divorce négocié (divorce sans motifs, sur demande acceptée). Elle nous apporta également le divorce pour manquement « aux devoirs et obligations issues du mariage » alignant ainsi la faute dans le mariage sur la faute contractuelle. La loi de 2006 acheva le phénomène de contractualisation en nous apportant le « divorce pour altération du lien » qui n’a plus rien à voir avec le divorce pour rupture de vie commune voulu par Carbonnier, mais qui ressemble à s’y méprendre à une résiliation unilatérale avec préavis de deux années. Ce divorce évoque la répudiation. Toutefois, l’originalité du droit de la rupture du mariage tient au fait que celle-ci reste irréductiblement prononcée par le juge. On ne divorce pas sans juge. Faut-il y voir une scorie du système institutionnel ? Quant à la procédure de nullité de mariage, ses causes se sont en grande partie alignées en 1975 sur celles des contrats : l’erreur sur les qualités essentielles est désormais admise comme vice de consentement.

Le pacs de son côté peut être rompu d’un commun accord ou unilatéralement6. Mais la rupture n’est pas judiciaire même si elle suppose un minimum de formalisme : une démarche au greffe ou un acte d’huissier. Un pacs peut être enfin annulé comme tout contrat. Une procédure pour rupture abusive est théoriquement possible (même si la jurisprudence ne nous fournit guère d’exemples). Le concubinage de son côté peut être rompu sans formalité particulière : il suffit de changer la serrure pour mettre fin à l’union…

Droit matrimonial et droit des contrats

Le droit des contrats paraît baigner le droit matrimonial contemporain. La volonté des parties paraît désormais apte à aménager ou a défaire ce qu’elles ont fait. Restent les limites de l’ordre public : « on ne peut déroger par convention à tout ce qui intéresse l’ordre public et les bonnes mœurs » rappelle l’article 6 du code civil. Mais comment définir l’ordre public et les bonnes mœurs ? Il nous semble que l’ordre public matrimonial contemporain n’impose plus : il ne dicte plus de comportements. Il nous semble que l’ordre public directionnel a cédé la place à un ordre public de protection : au fond, le principe qui sert de fondement au droit des contrats est celui de la liberté contractuelle. Chacun est libre de faire ce qui lui plait (dans le respect de l’autre) et les parties sont libres de définir l’étendue de leurs obligations. Mais le droit des contrats puise aussi son fondement dans le principe d’égalité contractuelle. On ne peut pas imaginer qu’une partie soit plus forte que l’autre et puisse imposer sa loi à l’autre : aussi un ordre public de protection apparaîtra pour protéger la partie la plus faible (par exemple parce qu’elle est incapable ou que sa volonté a été abusée et que le consentement est vicié).

Ainsi donc, l’ordre public matrimonial ressemblerait aujourd’hui davantage à un ordre public de protection qu’à un ordre public de direction. On comprend dès lors que le droit civil de la famille soit désormais en totale rupture avec le droit de l’Eglise qui dicte par des impératifs à l’individu son comportement moral.

L’avènement du mariage homosexuel confirme le mouvement de contractualisation, en ce qu’il tend à gommer tout l’aspect matrimonial que présentait habituellement l’union tendant à l’édification d’une famille, au profit d’une vision égalitariste et asexuée de l’opération. En touchant à la différenciation des sexes (qui était encore considérée comme l’une des dernières conditions de fond du mariage, qualifiées d’ordre public) le législateur confirme sa volonté de « contractualiser » jusqu’au bout le droit du couple. Est-ce bien ? Chacun jugera selon ses convictions.

Essai de prospective

Quel est le devenir des dernières « conditions de fond » du mariage ? Il est n’est incongru d’imaginer que les dernières règles généralement présentées comme des « tabous » soient un jour revisitées… tout simplement parce qu’elles comprennent d’ores et déjà des paradoxes ou des contradictions difficilement explicables. Quel devenir pour l’interdit de l’inceste, l’âge légal, et la prohibition de la bigamie ? Quel devenir pour les obligations matrimoniales ? Et quel devenir pour le Juge ?

L’inceste n’est actuellement réprimé par le droit pénal qu’au travers l’infraction de viol et le droit des mineurs. Ce qui signifie que l’inceste commis entre personnes majeures consentantes n’est pas constitutif d’infraction. Parle-t-on d’un droit pénal « de protection » ? Si l’inceste était un véritable tabou, il serait réprimé et le consentement des personnes ne pourrait empêcher l’infraction. Sur le terrain civil, l’union incestueuse contractée dans le cadre d’un  mariage ou un pacs est nulle.

Mais la définition des limites de l’interdit n’est pas la même d’un côté ou de l’autre. Alors qu’un homme ne peut pas épouser en cas de décès ou de divorce, la fille de son épouse, un homme peut se marier avec la fille de sa partenaire : et du fait de son mariage, le pacte conclu avec la mère devient caduc. « Chérie, j’ai le plaisir de t’apprendre que j’ai épousé ta fille. Tu n’es plus ma partenaire. Tu es ma belle mère ». Le mariage est en effet générateur d’un lien d’alliance. Tandis que le pacte n’engendre rien… Il y a donc actuellement une contrariété qu’il va bien falloir lever[10. Xavier LABBEE « les paradoxes de l’inceste » Gazette du Palais 28 et 29 Novembre 2012 Doct page 5]. Et puis, le droit du mariage connaît dans certaines hypothèses des exceptions à l’interdit. Un  homme peut solliciter une dispense pour épouser sa nièce. Mais aucune dispense n’est prévue dans un cas identique pour le pacte… Toutes ces contradictions sont contemporaines et montrent que la société n’a pas de l’inceste une vision très nette, sauf pour l’inceste commis entre pere-fille ou mère fils ou encore entre frères et sœurs. Mais il est vrai que l’interdit se justifie peut être plus pour des raisons d’état civil que de morale : peut-on être en même temps père et mari ? Que se passe-t-il en cas de succession ? Peut-on être en même temps ascendant et conjoint survivant ?

L’age légal « pour se marier » était longtemps distinct de la capacité contractuelle. Il était de quinze ans pour les filles et dix huit ans pour les garçons. Il est aujourd’hui uniformément placé à dix huit ans comme en matière de pacte civil de solidarité. Néanmoins un mineur peut se marier avec le consentement de ses parents en sollicitant une dispense au procureur, s’il existe un « motif grave ». Mais le système de la dispense n’est pas prévu en matière de pacte sans que l’on comprenne bien pourquoi existe une telle différence. Une jeune fille mineure enceinte pourrait donc, avec l’accord de ses parents, solliciter au procureur une dispense pour épouser une autre fille mineure. Mais elle ne pourrait pas souscrire de pacte avec elle. Tout ceci est étrange. Il est probable que la condition tenant à l’âge légal, et à l’institution de la dispense, sera prochainement revisitée[11. Xavier LABBEE « le mariage homosexuel est-il ouvert aux mineurs » Gazette du Palais 30 Janvier 2013].

A l’époque où le mariage était la seule union protégée par la loi, l’interdit de la bigamie avait une signification très claire : une homme ne peut officiellement avoir qu’une femme. Des sanctions pénales venaient assortir l’interdit : on ne peut pas avoir deux épouses légitimes. Si un homme avait une maitresse, celle-ci ne pouvait en aucun cas apparaître sur la scène juridique, pas plus que l’enfant adultérin qu’on ne voulait pas voir. A l’heure où le concubinage est devenu une situation officielle, on peut évidemment s’interroger : certes, le concubinage – comme le pacs – impliquent la monogamie dans leur définition légale. On ne peut pas avoir deux partenaires, ni prétendre faire produire des effets juridiques à une situation de « ménage à trois ». Mais il n’y a pas de sanction pénale pour le pacte (ou le concubinage) révélant une telle situation. Pourquoi ? Et puis la bigamie des étrangers est tolérée. Enfin, les pistes ont commencé à se brouiller lorsqu’on on a appris que Francois Mitterand, chef de l’état, avait partagé sa vie entre son épouse légitime et sa concubine. Et que l’une et l’autre lui ont donné des enfants. Et l’une et l’autre encadreront sa dépouille mortelle le jour de l’inhumation. Francois Hollande, de son côté, est pour l’état civil célibataire. Mais il est sur le terrain familial partagé entre sa compagne et la mère de ses enfants. Tout ceci relativise considérablement la portée de la prohibition alléguée. Pourquoi finalement interdire la bigamie ?

Il semble dès lors qu’inévitablement, le droit du mariage va devoir s’aligner sur le droit du pacs -à moins que cela ne soit l’inverse… ou que les deux systèmes finissent par se confondre). Nous avions de notre côté plaidé en faveur de la disparition du mariage civil et du pacs, au profit d’une union civile nouvelle[12. Xavier LABBEE « le mariage et l’union civile » JCP septembre 2012] : pourquoi maintenir deux formes de conjugalités très proches ? N’est-il pas plus judicieux de tout unifier ? Et pourquoi appeler cette conjugalité nouvelle « mariage » puisque le mot n’a plus rien à voir avec la définition de l’union religieuse qui est toujours présente et n’a pas été modifiée ? Un même mot peut-il d’ailleurs désigner deux choses radicalement opposées ?

Les effets engendrés par l’union contractée

La logique contractuelle devrait permettre d’inclure dans les conventions matrimoniales (contrat de mariage, pactes civils de solidarité, contrats de concubinage) des clauses permettant d’aménager  ou de renforcer les devoirs personnels. Et pourquoi pas des clauses de pénalité, comme dans beaucoup de contrats, dites clauses pénales ?

La logique contractuelle voudrait qu’en cas de manquement aux obligations le tribunal soit saisi et la faute sanctionnée. Est-ce bien ce que nous dit la jurisprudence ? Le contentieux de la rupture de pacte est éminemment rare (même s’il n’est pas inexistant). Celui de la rupture de concubinage est un peu plus fourni… mais les avocats ne paraissent pas rompus à de telles procédures. Y a-t-il une demande ?

En matière de divorce enfin, il apparaît que l’adultère « ne paye plus ». Le quantum des dommages et intérêts alloué est souvent insignifiant. Il est vrai que si la réalité de l’adultère est souvent facile à établir, l’évaluation du préjudice subi par la victime l’est beaucoup moins. On n’a pas recours à l’expert pour chiffrer la douleur ressentie et les répercussions des conséquences de la trahison. Ce constat, conjugué au fait que l’allocation de la prestation compensatoire est aujourd’hui « déconnectée » de la faute produit des conséquences qui peuvent apparaître choquantes : on peut  « gagner » son divorce, obtenir quelques euros à titre de dommages et intérêts pour sanctionner une trahison… et se voir condamné à payer une lourde prestation compensatoire au coupable. Est-ce juste [13. Xavier LABBEE « la femme adultère fait du bénéfice » Recueil Dalloz] ?

Le déclin des obligations matrimoniales personnelles « classiques »

Des auteurs constatent un déclin des obligations matrimoniales personnelles « classiques » (fidélité, assistance) qui ne seraient pratiquement plus sanctionnées, tout en assistant dans le même temps à l’émergence d’obligations contractuelles « de droit commun » (respect, loyauté, bonne foi). Il est vrai que les époux se doivent mutuellement depuis 2006 « respect ». Et que les violences conjugales sont aujourd’hui uniformément (et sévèrement) réprimées, quelle que soit la forme de conjugalité. On finirait par dire aujourd’hui qu’une femme qui trompe son mari ne fait qu’exercer sa liberté sexuelle. Tout en constatant que le mari trompé qui frappe son épouse par dépit a un comportement inadmissible et qu’il encourt dès lors de lourdes peines devant le tribunal correctionnel.

Quel est l’avenir des devoirs engendrées par l’union matrimoniale ? La question est posée.

La rupture

Deux questions reviendront inévitablement sur le bureau de l’assemblée nationale, une fois réglée la question du mariage homosexuel : faut-il garder la prestation compensatoire dans le droit du divorce, alors qu’elle est inexistante dans le pacte civil de solidarité ? Faut-il au contraire prévoir une prestation compensatoire dans le pacte au profit du « vieux partenaire » répudié ?

Il semble difficile de justifier la différence de régime actuelle. La seconde question tient à la présence du juge : faut-il déjudiciariser le divorce (comme certains l’ont souhaité) ? Faut-il judiciariser le pacte civil de solidarité comme nous le souhaitons ? Nous pensons que le juge présente la garantie de l’impartialité par rapport au notaire qui ne la présente pas. On choisit son notaire, on ne choisit jamais son juge. Et le rôle du juge reste irréductiblement de protéger la partie la plus faible (ce qui n’est pas le rôle du notaire). La déjudiciairisation n’est probablement pas souhaitable, à l’heure ou les violences conjugales se multiplient (c’est un fait) et ou l’on assiste de plus en plus en matière conjugale aux « accords conclus » sous la contrainte. Il faudrait imaginer, en matière matrimoniale, un « contrat institutionnalisé », créé par les parties mais menant obligatoirement sa vie sous le contrôle du juge. Mais il est possible que ce discours ne soit pas « politiquement correct » à l’heure où l’on parle de désencombrer les tribunaux pour raisons budgétaires, et où l’on chante les mérites de la médiation familiale. Qui parlera un jour des médiations qui échouent ?

Terme du processus de contractualisation

A quoi nous conduit l’achèvement de la contractualisation ? Faut-il faire abstraction, en matière conjugale, de la sexualité et de la procréation ? Il a été dit que le mariage homosexuel est un mariage d’amour… sans que l’on sache précisément ce qui se cache derrière ce mot qui est utilisé dans de multiples sens et qu’on ne trouve pas dans le Code civil. On peut aimer ses parents, les enfants, l’alcool, la drogue, le diable ou le bon Dieu. La référence à l’amour nous semble oiseuse. Si l’amour, c’est « aider l’autre à supporter le poids de l’existence » selon la formule de Portalis, il faut alors offrir au couple une institution durable pour lui permettre de réaliser cet objectif. Si le rôle de la famille est de protéger l’individu, alors il faut que la famille soit une structure solide. Et il faut que le droit garantisse cette solidité. C’est justement ce que notre droit n’offre plus aujourd’hui puisque tout le monde constate (quelquefois pour le déplorer) la précarisation du droit conjugal et partant du droit familial. Peut-être l’amour est-il synonyme de passion fusionnelle ? Mais alors il n’est pas nécessaire de se marier ou de se pacser pour le réaliser. En 1968, le mariage était jugé comme une institution bourgeoise,  obstacle à l’amour libre. Pourquoi alors avoir voulu restaurer cette institution poussiereuse au travers du mariage homosexuel ?

Reste une inquiétude : si la famille n’a plus pour rôle de protéger l’individu, ce rôle doit alors passer à la collectivité. C’est alors à elle d’aider l’individu en difficulté si celui-ci n’a plus de famille. Mais la collectivité a-t-elle encore les moyens aujourd’hui d’assumer une politique sociale ? Ne serait-il pas judicieux pour l’Etat (moins pour des considérations morales qu’économiques) de mettre sur pied une politique visant a resserrer les liens familiaux et a reconstruire la famille[14. V° le colloque « reconstruire la famille » Lille 2 LPA 2007] qui a été si malmenée ? Ceci est une autre histoire.

Xavier Labbée

Notes

Notes
1V° de façon générale Xavier LABBEE « le droit commun du couple » Presses universitaires du Septentrion 2012]. Car la famille elle-même a changé de visage tant il est vrai que le droit n’est jamais que le miroir de ce que nous sommes. Quel est donc son fondement aujourd’hui ? Il semblerait que pendant longtemps, la famille (et le mariage qui en servait de socle) ait été définie comme un instrument indispensable à l’organisation sociale. Une société qui va bien est construite sur des familles qui elles-mêmes sont solides. Car la Société sait que l’individu en difficulté doit pouvoir avant tout compter sur sa famille. Mais depuis une quarantaine d’années, il semblerait que la famille ne réponde plus à cette définition. La famille serait-elle devenue un écran opprimant, gênant la liberté individuelle ? « Familles je vous hais ! » disait Gide qui voyait en elles l’expression de la « possession jalouse du bonheur »[2. André GIDE Les nourritures terrestres
2On cite souvent un mot attribué à Napoléon : « les concubins ignorent la loi, la loi ignore les concubins »]. Les effets personnels engendrés par cette union sont très forts, beaucoup plus forts que les effets patrimoniaux qui peuvent être « contractualisés » (d’ailleurs les époux peuvent passer un « contrat de mariage » préalablement à la célébration). Ainsi le devoir de fidélité est d’ordre public et l’adultère n’est pas seulement sanctionné civilement mais il est surtout sanctionné pénalement[4. MAYAUD « l’adultère cause de divorce depuis la loi du 11 Juillet 1975 » RTD Civ 1980 page 494. V° X. LABBEE Op.Cit page 19
3Canon 1141 Codex Juris canonici :  « le mariage conclu et consommé ne peut être dissous par aucun pouvoir humain ni aucune cause sauf par la mort »
4Ainsi par exemple apparaît le « dictionnaire des droits des femmes » (Francoise DEKEUWER). Et plus tard apparaitront les « droits de l’enfant ». La famille apparaît comme un ensemble composé d’individualités qui exercent des droits les uns contre les autres. Elle ne forme plus un groupe, mais un ensemble d’individualités égoïstes
5Rapp articles 108 et 215 du code civil]. ils peuvent même se dispenser du devoir de fidélité : les pactes de liberté produisent un certain effet et l’on a vu des magistrats homologuer[8. TGI Lille 22 Novembre 1999 D 2000 page 254 Note Xavier LABBEE RTD Civ 2000 page 296 Note HAUSER
6Article 515-7 C.civil
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