La religion aux religieux, la société aux laïcs

Observons –  est-ce seulement une anecdote ? –  que la manifestation contre le mariage gay était parrainée par l’église catholique et organisée par un général en retraite : la vieille alliance du sabre et du goupillon, et une foule qui est exactement celle que l’on attendait en pareilles circonstances, dans le style, dans l’âge et dans les convictions.  Ce qui donnerait envie de crier, comme en 1900, “A bas la calotte” ; et que l’épiscopat s’occupe des prêtres pédophiles, des internats irlandais et de toutes les variétés d’abbé Cottard, cet ami de la jeunesse !

De l’autre, dimanche 27 janvier, des manifestants plus jeunes, plus divers, pour la défense d’une minorité qui revendique l’égalité de droits et dont la revendication sera portée par un gouvernement de gauche, dans un cortège dont les syndicats ouvriers assuraient la sécurité, semble-t-il (nombreux badges visibles le long du cortège) – la réforme progressiste comme dans  une image d’Epinal ! La Réaction a reconstitué le camp du Progrès ! Le gouvernement ne pouvait espérer mieux en ces temps de difficultés. La droite s’est piégée toute seule.

La Nature en otage

Sur le fond, le débat aura donné lieu à des prises de positions remarquables, à commencer par celle de Mme Hervieu-Léger, sociologue,  dans Le Monde du 17 janvier, qui pointe comment les religions ont discrètement opéré un “changement de base légale” afin de condamner le mariage gay, désormais au nom de l’anthropologie et de la psychanalyse, bref de la Nature, sans pour autant convaincre un public différent de celui qui est et restera le leur.  Un rabbin mal inspiré a montré la voie, et le clergé, Pape en tête, a sonné la charge.  Selon les derniers sondages, le coup a raté. Il faut dire que les psychanalystes mobilisés manquaient de clarté et de sérieux. On pouvait s’y attendre.  A “savoirs” confus, positions confuses.

Il y en a plus qu’assez que les questions de moeurs soient prises en otage par des groupes qui se croient autorisés à parler au nom du droit naturel.  C’est l’occasion de relire Clément Rosset : l’idéologie naturaliste peut être considérée comme l’idéologie religieuse passée à l’état adulte, trouvant dans l’idée de nature,  mais “son” idée de la nature, la confirmation de ses présupposés de base (L’Anti-Nature, 1973).  Et encore ceci : “L’idée de nature n’est jamais pensée, mais seulement opposée à un certain nombre de faits, d’attitudes, d’événements, que récuse la sensibilité de certains hommes : expression donc d’un désagrément plutôt que d’une idée, autorisant à dire que transgresse la nature tout ce qui, en fait, s’oppose au désir. La fonction idéologique de l’idée de nature se double et se renforce d’une éminente fonction d’ordre moral : permettant de penser non seulement une métaphysique, mais encore et peut-être surtout, la culpabilité” (p. 19).

C’est aussi l’occasion de se demander s’il faut parler de tout avec tout le monde :  tout se discute bien sûr, mais le débat philosophique, en démocratie, doit être préservé des églises et du “droit naturel”.

Une loi

S’il faut une loi sur le mariage gay, c’est pour donner un statut à des formes de famille qui existent de toute façon déjà, et la France n’innove en rien sur ce point ; mais aussi, ce qui est le but des associations gays, pour normaliser socialement, culturellement leur situation – et c’est bien ce qui tétanise ceux qui manifestaient, il y a 15 jours. Les plus éclairés veulent bien la tolérance, mais pas plus.  Quant aux autres …. !

L’intérêt des enfants, qu’ils invoquent sans les interroger, est d’avoir des parents qui les aiment et les éduquent bien, et les couples gays sont probablement plus soudés autour de leur projet parental que beaucoup de couples traditionnels, sans parler des mères hétérosexuelles bien sous tout rapport qui mettent leurs enfants au freezer ou du fait divers rapporté la semaine dernière : la petite fille tuée par sa mère et son concubin. L’intérêt de l’enfant est au demeurant l’une des raisons du mariage gay dans tous les pays qui l’ont adopté : vivre dans un foyer reconnu socialement, non stigmatisé, et dans un cadre juridique clair en matière de patrimoine et de responsabilités des parents. Raison pour laquelle le mariage gay s’est imposé dans de nombreux pays, et même en Espagne si catholique, comme cadre pragmatique à des situations familiales qui existent déjà.

Et c’est une évolution heureuse que délibérément, l’Etat refuse désormais de se prononcer en faveur d’une forme de vie familiale ou d’une autre. C’est répondre à la revendication d’égalité et c’est éliminer l’Etat des chambres à coucher.

La seule chose qui appelle débat sérieux, ce n’est ni le mariage gay, ni la procréation médicalement assistée (PMA), mais la gestation pour autrui (GPA).  La PMA pour les couples de femmes est un “no brainer”, comme on dit en anglais, dès lors que toutes les formes de couples sont mises à égalité ; et puis un enfant de plus dans un couple qui le veut, où est le mal ?  La GPA en revanche  fait intervenir une troisième personne dont les droits, la liberté sont à mettre dans l’équation ; le contexte sociologique de la relation triangulaire est par ailleurs problématique ; elle peut être associée à une vraie instabilité juridique. Le problème est tout différent. Au vrai, il concernera surtout, pour des raisons numériques, les couples hétérosexuels.

Mais ce débat, on ne doit pas l’avoir avec ceux qui veulent rester dans un monde contrôlé par les institutions religieuses et autres puissances tutélaires.  En démocratie, on ne discute pas valeurs et philosophie avec des théologiens.  Comment débattre avec des interlocuteurs dont la croyance est faite de vérités révélées et d’un “ordre naturel” qui en est l’avatar ?

La société s’est émancipée, elle est laïque. Les religions n’ont qu’à se consacrer au mariage religieux,  c’est leur apanage.

On ne le leur disputera pas.

Cassiopée Landgren

A lire

Clément Rosset, L’Anti-Nature, Puf, réédition 2004

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