Biographie : Jean Renoir de Pascal Mérigneau

C’est un livre remarquablement documenté et remarquablement écrit que vient de livrer, sur Jean Renoir, Pascal Mérigneau, le critique cinématographique du Nouvel Observateur.

Jean Renoir est un cinéaste si célèbre qu’on oublie combien sa carrière fut heurtée, et qu’il est mort en Californie célèbre mais dans un demi-exil. La biographie de Pascal Mérigneau le rappelle avec précision, dans une narration riche et vivante. Les anecdotes sont nombreuses mais ne nuisent pas à la cohérence du livre. Qui sait que Renoir aurait dû tourner L’Etranger de Camus, sur la suggestion de Gérard Philippe, 28 ans à l’époque, qui convoitait le rôle de Meursault, mais que l’entreprise échoua devant la somme apparemment faramineuse que réclamait Gallimard, l’éditeur du roman ?

L’industrie du cinéma à ses débuts

Jean Renoir fait partie des pionners du cinématographe, commençant sa carrière en pleine époque du muet, après une belle guerre qui le voit s’engager dans les chasseurs puis l’aviation. Il voit l’industrie du cinéma se structurer, et les studios prendre leur essor, en Europe et à Hollywood. Sa biographie fait voir la vie quotidienne du cinéma français du muet jusqu’aux années 60, sa fragilité financière, avant que se mette en place tout un réseau d’aides publiques qui a changé certains traits de ce secteur. De ce point de vue, l’ouvrage de Pascal Mérigneau est aussi une histoire du cinéma français de cette période.

Toute sa vie, Renoir sera confronté aux difficultés qui sont en fait la norme de cette industrie : comment convaincre un producteur ? Comment le producteur peut-il, lui, réunir l’argent de la production ? Comment éviter, en pleine sortie du film, les procès que peut faire un écrivain grincheux qui se croit plagié, situation que connait Renoir quand sort La Grande Illusion ? Pascal Mérigneau raconte toutes ces péripéties, de même nature en 1925 et en 1965, et même comment le tournage du film Partie de Campagne (1936) dut être interrompu, les caisses du producteur étant vides.

Pour autant, Jean Renoir connut le succès critique dès ses premières oeuvres, et eut vite le statut de plus grand cinéaste français, sans attendre que la Nouvelle Vague, Truffaut en particulier, le désigne comme “grand auteur”, “auteur par excellence”, par opposition aux cinéastes de la “Qualité française”, considérés comme moins originaux (ce qui n’était pas faux). Les succès publics en revanche lui furent comptés, apprend-t-on. Hors La Grande Illusion, il n’eut pas de grand succès d’audience, d’où un peu de jalousie pour les cinéastes de moindre talent (Julien Duvivier) ou de talent comparable (Marcel Carné) qui avaient les faveurs du public.

Pascal Mérigneau revient sur chacun des films de Renoir, et il n’est pas évident que les vues de Truffaut aient été si justes : Jean Renoir ne parait pas avoir pratiqué, dans sa collaboration avec les scénaristes et avec les techniciens du cinéma, différement de ce que faisait tout cinéaste important de son temps, que ce fût Marcel Carné ou Christian-Jacques. Peut-être avait-il plus le goût de l’improvisation, mais selon Pascal Mérigneau, par suite de son caractère indécis plus que par choix. Renoir avait par ailleurs un goût pour la littérature qui lui faisait souvent rechercher ses sujets de films dans les romans ou le théâtre : Flaubert, Zola, Andersen, Gorki, Feydeau, Courteline, Labiche, Mirbeau,  Anouilh, … – ce qui n’est sans l’éloigner de la Nouvelle Vague et de sa liberté de thèmes et de scénarios.

Grand talent et mauvais jugement

Pascal Mérigneau montre aussi avec précision et équanimité les errements politiques de Jean Renoir, passé de l’anarchisme mondain au rang de compagnon de route du Parti communiste (La Marseillaise), de l’humanisme cucul-la-prâline (La Grande illusion) à un pétainisme un peu naïf qui lui fait même proposer aux autorités de Vichy un plan de réorganisation du cinéma français, mais qui ne l’empêche pas de partir aux Etats-Unis, en décembre 1940 –  non pour raisons politiques, mais pour tenter de tourner pour un studio américain, son rêve. Il ne retournera plus en France que par épisodes.  Sous l’influence de sa troisième femme, il finira dans la bigoterie.

Pascal Mérigneau, sans véhémence ni anachronisme, épingle Renoir pour ce manque de lucidité politique et parfois pour son manque de scrupule, lors de ses passages dans l’Italie de Mussolini et le Portugal de Salazar par exemple en 39-40. Il met surtout en évidence que la politique n’était pas son fort, qu’il a toujours éte influençable, notamment par chacune de ses trois femmes, et un brin opportuniste.

Au fond, ce qui est resté son moteur, c’est le désir de faire des films, de tourner, de se comparer aux grands maitre du muet (Griffith, von Stroheim) et à ses grands contemporains de Hollywood. Jusqu’aux dernières années, lit-on, il aura des projets à présenter aux producteurs et rêvera d’un grand succès américain. Sa carrière au cinéma s’arrête en 1962 avec Le Caporal épinglé – Le petit théâtre de Jean Renoir (1970)  relève de la télévision. Il reste de grands films, et une influence sur le cinéma qui allait suivre.

Stéphan Alamowitch 

Pascal Mérigneau, Jean Renoir, Flammarion, 2012, 1.101 pages

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