Establishment : le retour des fractures traditionnelles ?

Point frappant qui n’a pas été remarqué : la collision, en moins d’un mois, de situations et de symboles d’un autre temps, comme si les lignes de fracture culturelles de l’Establishment économique français, depuis la IIIème République, ré-apparaissaient sous nos yeux, avec les mêmes différences en termes de valeurs, de réactions aux alternances politiques et de rapport à la nation.  Dans le même temps, donc, et au risque de sur-interpréter les événements :

–   Affaire Arnault : un grand bourgeois catholique, qui symbolise le pouvoir économique le plus classique (le patronat du Nord) mais aussi le plus mondialisé (LVMH), conteste la politique fiscale d’un pouvoir socialiste nouvellement élu, la presse le désignant comme le “héraut” du monde patronal, et il en vient à rechercher publiquement une nationalité étrangère  ; il s’agirait, dit-on, de contourner la fiscalité successorale ;

–   Libération : un grand bourgeois juif qui finance un journal de gauche vient soutenir ses journalistes, critiqués pour avoir insulté ce futur exilé fiscal dans une Une qui restera dans les annales ;

–   Hermès : une famille de grands bourgeois protestants engage contre le premier une lutte judiciaire peu courante, avec plainte pénale à l’appui, au nom de la préservation d’un capitalisme familial et national. On ne se hasardera pas à dire que ce combat est de gauche mais, de l’aveu même des protagonistes, il s’agit d’un choc de valeurs – des valeurs dont le fonds est social et national, d’un coté ; de l’autre, le jeu du marché et la mise en valeur du capital au mieux de ses intérêts – ce qui vaut d’ailleurs à LVMH le ralliement des associations d’actionnaires, soucieuses de bien monétiser leurs titres lors de la prise de contrôle.

On regrettera au passage que la “nationalité” devienne, dans une partie des milieux d’affaires, un paramètre juridique comme un autre. C’était déjà le cas, et depuis longtemps, de la “résidence”.  Une étape nouvelle, d’ordre psychologique et politique, est-elle en train d’être franchie ? Le sentiment national moderne, né au début du XIXème siècle, disparaitra-t-il au début du XXIème ?

On recommandera aussi à nos lecteurs d’acheter Libération, victime d’un boycott publicitaire pour cette Une bien sentie.

 Serge Soudray

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